Château Pavie est aujourd’hui l’un des deux châteaux auréolés de la distinction Premier Grand Cru Classé A dans le classement de Saint-Émilion. Regarder dans le rétroviseur, c’est raconter l’histoire extraordinaire de Gérard Perse (malheureusement décédé en août 2025 des suites d’une longue maladie) et de son épouse Chantal qui ont construit en l’espace de 30 ans un riche écosystème à Saint-Émilion au service du terroir et d’un certain art de vivre. Je vous propose une plongée en deux chapitres dans l’empreinte de la famille Perse à Saint-Émilion avec un premier article consacré à Château Pavie et un second à l’hôtel de Pavie et à sa table doublement étoilée.

La vie de Gérard Perse a tout d’un roman. Issu d’un milieu modeste et marqué par une enfance difficile, il quitte l’école à 14 ans pour entrer dans la vie active. Il travaille comme peintre en bâtiment et s’adonne pendant son temps libre à sa passion pour le cyclisme, un sport dans lequel il se révèle doué et qui va changer sa vie.
Un dimanche, au terme d’une course qu’il remporte, il monte sur le podium et reçoit un bouquet des mains d’une jeune femme blonde : c’est le coup de foudre. Un an plus tard, Gérard épouse Chantal. Ensemble, ils suivent les traces des parents de celle-ci en ouvrant un magasin de fruits et légumes à Boulogne-Billancourt. Le commerce prospère, et cinq ans plus tard, au milieu des années 1980 qui voient l’essor des grandes surfaces, Gérard Perse qui a le sens des affaires rencontre le fondateur de Promodès et obtient son soutien pour acheter un supermarché Champion à Pontault-Combault.
Le développement est fulgurant. En sept ans, il est à la tête de quatre supermarchés et d’un hypermarché. Dans le même temps, les foires aux vins gagnent en popularité, et en 1988, Gérard Perse devient responsable des achats foire aux vins pour tout le groupe Promodès. Intéressé par le vin, sérieux et curieux, il déguste, prend des notes, affine son palais. Le Médoc est souvent au programme de ses déplacements, mais c’est Saint-Émilion qui finit par le séduire.
En 1993, il rentre d’un déplacement avec une bouteille de Château Montbousquet et annonce à son épouse qu’il a acheté la propriété, le jour de sa visite ! Les 32 hectares de vignes sont situés dans la partie basse du vignoble de Saint-Émilion — une zone alors considérée comme moins prestigieuse et plus sujette au gel. Le vignoble, en mauvais état sanitaire, réclame des investissements lourds. L’intégration, elle, n’est pas sans heurts : les voisins l’appellent « l’épicier », voient en lui un « nouveau riche parisien ». Mais la rigueur et les choix techniques de Gérard Perse finissent par porter leurs fruits. Faisant des allers-retours entre Paris où il gère ses supermarchés et Saint-Émion, il s’impose peu à peu comme un vigneron visionnaire, capable de transformer un domaine oublié en propriété reconnue et rapidement saluée par la presse.



Ci-dessus, Château Montbousquet avec la brume automnale matinale qui se lève
Deux ans après l’acquisition de Montbousquet, Gérard Perse apprend que Château Pavie va être mis en vente. Pendant deux ans, il y a des visites mais aucune offre : le château est une belle endormie, les 41 actionnaires de la famille ne voulaient plus investir dans la vigne et les installations qui sont en mauvais état, les vins étaient considérés par beaucoup comme moyens, la propriété perdait de l’argent. Il finit par visiter la propriété, en voit tout le potentiel et fait une offre qui est acceptée dans la journée. Le voici à la tête d’un premier cru classé de Saint-Émilion de premier plan qui compte à cette époque 37 ha de vignes d’un seul tenant. Les hypermarchés vendus au groupe Promodès, le couple s’installe dans le bordelais. C’est une nouvelle vie de vigneron qui s’ouvre pour Gérard Perse.
Réveiller Pavie : restructurer le vignoble et investir dans la cuverie
Pavie est l’une des plus vastes propriétés de Saint-Émilion, les vignes sont exposées plein sud avec trois terroirs très complémentaires et aisément identifiables :
– Le plateau calcaire, situé à environ 85 mètres au-dessus du niveau de la Dordogne. Type de profil : sol blanc calcaire lithique (terre blanche calcaire sur le calcaire à astéries).
– La côte, située à environ 55 mètres au-dessus de la Dordogne. Type de profil : sol brun calcaire à texture fine au-dessus de la molasse du Fronsadais (terre argilo-calcaire lourde). Cette côte solaire est unique !
– Le pied de côte, situé à environ 35 mètres au-dessus du niveau de la Dordogne. Type de profil : sol brun calcaire colluvial, au-dessus du sable fluviatile non calcaire (terre argilo-calcaire de bas du versant) et sol brun à texture grossière (sable argileux).




Au moment du rachat, le vignoble est en mauvais état avec beaucoup de manquants. Une des premières décisions de Gérard Perse est de réduire la part de Merlot dans l’encépagement, passée de 70% au moment de l’achat de la propriété à 50% aujourd’hui, cépage remplacé par le Cabernet Franc au fil des replantations (jusqu’à atteindre 30% de l’assemblage sur le millésime 2022) pour apporter davantage de structure et amener le vin vers un style moins démonstratif.
21 parcelles sont délimitées et 21 personnes travaillent à la vigne, chacun est responsable de sa parcelle.


Les Perse introduisent une stricte vendange en vert au mois de juillet au cours de laquelle 30% de la récolte potentielle est « sacrifiée » pour favoriser la concentration et l’atteinte de la juste maturité. L’équipe pratique également un contrôle de la surface folière avec un palissage réhaussé, un rognage/effeuillage côté soleil levant en juillet et un autre côté soleil couchant en septembre. A Pavie, les vendanges durent 15 jours et sont en général plus tardives que la moyenne. Le rendement est en moyenne de 32-35hl/ha contre 47hl/ha au niveau de l’appellation Saint-Emilion.
Les Perse investissent également lourdement dans les installations de vinification avec la construction d’un nouveau chai et d’un nouveau cuvier dès 1998. Fini le stockage des barriques dans l’ancienne carrière dont les conditions étaient loin d’être idéales (humidité, ventilation limitée), celles-ci prennent désormais place dans un chai majestueux dont les murs sont soutenus par les anciennes arcades de la gare de Bordeaux Bastide (anciennement gare d’Orléans) ! Entre 2011 et 2013, Gérard Perse investit 14 millions d’euros pour réaliser une extension du chai et créer un espace réceptif de 600 m².


Lors de la vendange, après un tri manuel, les grappes transitent par un égrappoir puis les baies passent par un outil de tri optique avant d’être déversées dans un pressoir pneumatique qui fend leur peau avant une mise en cuves par gravité. Dans le cuvier, 21 cuves accueillent les jus issus des 21 parcelles. La fermentation alcoolique dure 1 semaine puis vient une phase de 3 semaines de macération avec des remontages en cycles ouverts et fermés pour extraire la couleur et la matière.



Début novembre, l’équipe procède à l’écoulage et entonne les vins par gravité. Les jus de chaque parcelle resteront isolés jusqu’au moment de l’assemblage après 18 à 24 mois d’élevage en fûts. Les barriques sont à 100 % françaises mais pas entièrement neuves (60 à 80 %) et la propriété se fournit auprès de 6 à 8 tonneliers, parmi lesquels Seguin Moreau, Sylvain, Quintessence, Darnajou, Nadalié, Alain Fouquet ou encore Francis Miquel. Entre concentration, recherche d’une maturité avancée et élevage ambitieux, Pavie est un vin de grande garde qui récompense la patience !



Fort de ces investissements et du travail important réalisé à la vigne et au chai, Château Pavie se lance dans la procédure de candidature au classement de Saint-Émilion 2012 avec une ambition forte. L’équipe est récompensée puisque la propriété accède au rang de 1ᵉʳ Grand Cru Classé A avec Angélus, Ausone et Cheval Blanc. L’essai est transformé en 2022 puisque le nouveau classement maintient Pavie et élève Figeac à ses côtés au sommet du classement (Cheval Blanc et Ausone ont annoncé en juin 2011 de ne pas soumettre de candidature, suivis par Angélus en janvier 2022).
Comment fonctionne le classement de Saint-Emilion ?
Créé en 1955, le classement de Saint-Émilion a la particularité d’être dynamique puisqu’il est révisable tous les 10 ans. Il repose sur un dossier de candidature volontaire avec plusieurs parties :
– Dégustation à l’aveugle des 10 derniers millésimes embouteillés et livrables (et les 15 derniers pour les Premiers Grands Crus Classés, donc les millésimes 2005 à 2019 ont été dégustés pour le classement de 2022) : on évalue la constance de la qualité des vins et cela représente 50 % de la note finale.
– Notoriété (promotion, distribution, valorisation : 10 ans de revue de presse à fournir, on regarde la présence dans les restaurants gastronomiques, réception à la propriété, livres, voyages dans le monde pour promouvoir la propriété et l’appellation) : 20 % de la note finale pour les Grands Crus Classés, 35 % pour les Premiers Grands Crus Classés
– Exploitation et terroirs (assiette foncière, homogénéité, terroirs) : 20 % de la note finale pour les Grands Crus Classés, 10 % pour les Premiers Grands Crus
– Conduite de l’exploitation (viticole et œnologie) : 10 % de la note finale pour les Grands Crus Classés, 5 % pour les Premiers Grands Crus
Le classement de 2022 est le septième depuis la création, 1353 échantillons ont été dégustés par des personnes ayant une expérience reconnue d’au moins 10 ans dans le monde du vin et il a consacré 85 propriétés, dont 2 Premiers Grands Crus Classés A, 12 Premiers Grands Crus Classés et 71 Grands Crus Classés.
Dégustation de Château Pavie
Lors de ma visite au château et d’un dîner à La Table de Pavie **, j’ai pu déguster 3 millésimes de Château Pavie : 2022, 2016 et 2012.


Millésime 2022, dégusté à l’aveugle
52 % Merlot, 30 % de Cabernet Franc et 18 % de Cabernet Sauvignon
18 mois d’élevage avec 75 % de barriques neuves et 25 % de barriques d’un vin.
Au nez, le vin offre des notes de cassis, de mûre, une touche de menthol. En bouche, c’est un vin d’une grande douceur, une caresse de fruits. On sent que c’est jeune mais c’est déjà très agréable. Il y a une sacrée densité, une certaine amertume noble. Millésime atypique car très accessible déjà aujourd’hui !
Autre particularité de ce millésime, l’équipe a choisi une bouteille gravée pour marquer la 25ᵉ vendange de la famille Perse et la confirmation du classement de 1ᵉʳ Grand Cru Classé A.
Millésime 2016
60 % merlot, 22 % cabernet franc et 18 % cabernet sauvignon
24 mois d’élevage avec 80 % de barriques neuves
Le nez est moins dans l’éclat du fruit, il y a au premier nez un voile de réduction au-dessus des fruits noirs frais, on trouve également une touche de bâton réglisse et d’eucalyptus et de discrètes notes de cuir. En bouche, le vin apparait moins dense qu’en 2022 mais il possède une superbe présence/intensité en milieu-fin de bouche et quelle persistance ! Il y a une très belle acidité et les tanins fondus même s’il y a encore une sacrée structure. Revisité à table lors du dîner, ce fut passionnant de le voir s’épanouir avec l’aération.
Millésime 2012
À 13 ans, Pavie 2012 a atteint un très beau stade d’évolution, le millésime frais donne un profil attrayant, élégant, facile d’approche avec un caractère minéral.
Avec le millésime 2024, l’identité visuelle de Pavie évolue avec une typographie contemporaine et élégante qui met en valeur le V de Pavie pour symboliser la Vigne, la Vie, le Voyage, une certaine Vision également de ce que doit être un grand vin de Saint-Émilion et d’un écosystème Vertueux.
La couleur verte caractéristique de l’identité de Pavie est renforcée, accentuée, soulignant l’importance du vignoble.
Cette identité visuelle s’applique à l’ensemble de l’univers Pavie, l’hôtel de Pavie et la table de Pavie.

En 25 ans, Château Pavie a connu une ascension fulgurante avec des millésimes notés 100 par Robert Parker et une reconnaissance unanime par la presse française et internationale. C’est une validation des orientations prises à la vigne et au chai et de l’évolution du style de château Pavie. Le maitre de chai actuel Jean-Baptiste Pion était entré à la propriété en 1998 comme stagiaire pour valider son diplôme d’œnologie, signe d’une équipe pleinement engagée dans un projet auquel elle adhère !
Rendez-vous dans le deuxième chapitre pour découvrir l’hôtel de Pavie et la table de Pavie, une déclaration d’amour à Saint-Émilion et une ambition pour le village et le terroir de l’appellation.
