Le Château Fleur Cardinale entame sa conversion bio et inaugure son nouveau chai

Je n’étais encore jamais allé dans le vignoble bordelais. Pas par chauvinisme bourguignon mais simplement parce que l’occasion ne s’était encore jamais présentée. C’est donc par Saint-Emilion que ma découverte in-situ du bordelais a débuté, avec ses jolis châteaux et portails qui ornent les étiquettes mais surtout un paysage vallonné, avec des arbres, des papillons qui virevoltent, des oiseaux qui gazouillent. Me voici au Château Fleur Cardinale où s’affairent des équipes d’ouvriers qui mettent la dernière touche à l’ambitieuse extension et modernisation du chai. La famille Decoster a acheté cette propriété il y a 20 ans, suite à des échanges avec le propriétaire du château voisin, Valandraud. Jean-Luc Thunevin est d’ailleurs devenu l’oenologue conseil de Fleur Cardinale. Ce 20ème anniversaire est l’occasion de regarder dans le rétroviseur pour apprécier l’important travail accompli à la vigne et au chai pour améliorer sans cesse la qualité des vins, l’engagement environnemental et sociétal et de se projeter dans l’avenir avec de beaux projets qui sont sur le point de se concrétiser.

Une histoire de famille

Rien ne prédestinait Dominique et Florence Decoster à faire un jour du vin, Dominique était dans la porcelaine à Limoges. Acheter une propriété viticole était l’idée de Florence, le couple a visité des domaines à Sancerre, Lalande Pomerol et c’est finalement à Saint-Emilion qu’ils ont posé leurs valises et où ils ont reçu un très bon accueil. Ils se retrouvent en 2001 à la tête d’un vignoble de 18 hectares et construisent dès 2002 sur les conseils de Jean-Luc Thunevin un nouveau chai pour pouvoir effectuer des vinifications parcellaires. En 2004, ils postulent au classement de Saint-Emilion et sont promus à la surprise générale Grand Cru Classé en 2006, classement qui sera conforté en 2012. Le fils de Dominique et Florence, Ludovic sort d’école en 2006 mais travaille d’abord dans le négoce et c’est son épouse Caroline qui va la première rejoindre ses beaux-parents à la propriété en 2012. Ludovic sautera le pas en 2015.

Un important travail à la vigne

Le vignoble de la propriété est situé à l’extrémité est de l’appellation, sur une résurgence du plateau argilo-calcaire sur lequel le village Saint-Emilion est implanté et que l’on retrouve également dans le vignoble voisin de Castillon – Côtes de Bordeaux qui est d’ailleurs visible depuis les vignes de Fleur Cardinale. C’est le secteur le plus frais de l’appellation, ce qui a pu poser des problèmes lors des épisodes de gel de l’hiver 2021 (Caroline m’a confié avoir passé 9 nuits consécutives dehors pour sauver les vignes) mais en contrepartie, la vigne ne souffre pas l’été et c’est un atout important en raison du changement climatique et des étés chauds qui précipitent la maturité technologique alors que la maturité phénolique n’est pas encore atteinte.

6 types de sol ont été identifiés et ont permis de réaliser un important travail pour planter le bon cépage au bon endroit avec le bon porte-greffe pour le bon sol. Des sauvignons blancs et gris et du sémillon ont d’ailleurs été plantés sur une parcelle en lisière de bois, le premier millésime de ce vin blanc – qui sera vinifié au Château Croix Cardinale voisin – verra le jour sur le millésime 2021 !

Les jeunes vignes de sauvignon gris qui donneront leur premiers raisins cette année !

Les sols sont enherbés un rang sur deux pour apporter une concurrence modérée à la vigne, les sarments de vignes sont broyés et, la propriété réalise des couverts végétaux qui sont ensuite enfouis (les racines du radis noir éclatent le sol, ce qui permet d’apporter de l’air et de favoriser la vie dans le sol).

Tout le plateau est en confusion sexuelle. Une démarche de sélection massale est à l’étude depuis 2017 et en 2020, des premiers pieds ont été sélectionnés afin de pouvoir à l’avenir renouveler le vignoble à l’aide de sélections massales. La propriété pratique le calage aux vîmes (liens en osier) sur ses nouveaux plants de Cabernet Sauvignon et prévoit d’étendre la pratique, cela s’inscrit dans la volonté de perpétuer un savoir-faire traditionnel.

La conversion en bio

2021 est la première année de conversion à l’agriculture biologique du domaine qui sera officiellement certifié dans 3 ans. Le bio est encore trop peu développé à Bordeaux comparé à d’autres régions, il faut encourager les propriétés qui se lancent ! François Despagne disait récemment dans une interview qu’avec le bio on redevient vigneron et c’est également la première chose que m’a dit Caroline : le bio implique d’être sans cesse dans ses vignes, Ludovic arpente inlassablement ses parcelles pour observer l’état sanitaire de chaque pied de vigne, il faut constamment surveiller les sites météos pour être prêt à effectuer un traitement en cas de pluie imminente car les protections ont uniquement un effet préventif – et sont lessivées par la pluie !

La clé de la réussite de la conversion en bio est la préparation des équipes qui sont bien plus mobilisées qu’avec l’agriculture conventionnelle, cela nécessite une réorganisation, de l’agilité (dès que 15mm d’eau sont annoncés et tous les 15cm de pousse, il faut un passage pour renouveler la protection face au mildiou et il ne faut pas de vent donc les fenêtres de tir sont limitées !), l’embauche de tractoristes. Il a fallu s’équiper d’un quad avec un pulvérisateur pour pouvoir traiter en peu de temps une fois la pluie annoncée, un enjambeur supplémentaire arrivera prochainement au domaine.

Le passage du conventionnel au bio ne se fait pas non plus du jour au lendemain. La propriété avait déjà considérablement réduit les produits utilisés : les produits désherbants ont été bannis dès 2001, on n’utilise plus de fertilisants depuis 2017, seuls des produits de biocontrôle étaient utilisés avant la conversion. La dernière marche a donc été plus simple à gravir !

L’appellation Saint-Emilion va dans le bon sens, elle a décidé d’obliger les vignerons à s’engager dans une démarche  environnementale (par exemple HVE, bio ou biodynamie) avant 2022, à suivre !

Le travail au chai

Au chai, le travail est également minutieux. A la vendange, le raisin est récolté (et trié) manuellement et est apporté à la cuverie en petites cagettes. Il est ensuite trié par densimétrie puis manuellement via une table vibrante et il atterrit dans l’une des cuves tronconiques à double paroi 30 secondes après son arrivée !

La technologie R’Pulse (mise au point à Bordeaux) est utilisée lors de la vinification depuis 2019, elle permet de décomposer le marc par la base en 30 secondes pour réaliser une extraction plus douce et homogène que via les techniques de pigeage et de remontage traditionnelles, tout en permettant un gain de temps et de main d’oeuvre très important.

Les raisins issus des plus vieilles parcelles font l’objet de micro-vinifications en demi-muids (une vingtaine, ce qui représente 8 à 10% de l’assemblage) qui permettent aussi de tester des vinifications en vendanges entières ou encore des essais de réduction de soufre. 2 amphores ont également fait leur apparition dans le chai en 2020, elles accueillent de vieux merlots et de vieux cabernet franc et 4 autres amphores prendront place à leur côté en 2021, elles apporteraient un bel éclat de fruit.

En vous promenant dans le chai, votre oeil sera peut-être interpellé par 4 bondes qui dénotent, ce sont des bondes connectées développées par une startup française (Chai connecté) qui transmettent des informations sur le niveau (pour être alerté quand il faut ouiller le fût), l’hygrométrie, la température ou encore la pression atmosphérique. 

Un chai Made in France et haute technologie ! 

Et les vins alors ?

J’ai pu faire une dégustation verticale du grand vin de Château Fleur Cardinale, sur 4 millésimes : 2018, 2016, 2015 et 2014. Les vins avaient été ouverts la veille et rebouchés, le millésime 2015 avait été carafé.



Château Fleur Cardinale 2018
74% Merlot, 22% cabernet franc, 4% Cabernet Sauvignon
2018 a été une année chaude et cela se ressent dès le nez qui s’ouvre sur des fruits noirs mûrs, compotés. En bouche en revanche, la texture est fluide, on a de légères notes empyreumatiques et un peu d’eucalyptus en rétro-olfaction. Les tannins sont déjà très souples, le vin est très jeune donc il n’est pas étonnant d’avoir un peu d’astringence mais j’ai été très agréablement surpris par sa buvabilité à cette âge !En se réchauffant, des notes épicées se développent et dominent le nez !

Château Fleur Cardinale 2016
74% Merlot, 18% cabernet franc, 8% Cabernet Sauvignon
2016, l’été sans pluie. Le nez est moins expressif, on est sur un registre aromatique plus froid, avec des notes de fruits rouges croquants, des notes florales, une touche mentholée. En bouche, c’est une caresse élégante. Caroline le décrit comme “un dandy avec une voix puissante” et je trouve que cela lui correspond bien, c’est un vin qui a du charisme et qui donne un petit coup de griffe en fin de bouche.

Château Fleur Cardinale 2015
75% Merlot, 15% cabernet franc, 10% Cabernet Sauvignon
L’année rêvée, tout s’est parfaitement bien passé, chaque terroir s’exprime. On retrouve un profil aromatique plus chaud, c’est une bombe au nez avec du cacao qui vient s’ajouter aux notes de fruits rouges et noirs mûrs (griotte, prune). En bouche, c’est ample, il y a beaucoup de matière, la texture est plus épaisse que les vins précédents mais cela reste une caresse, rien n’accroche, et quelle longueur en bouche !

Château Fleur Cardinale 2014
70% Merlot, 25% cabernet franc, 5% Cabernet Sauvignon
Le début de la campagne a été très difficile, la floraison s’est bien déroulée mais l’été a été catastrophique jusqu’à la dernière semaine d’août puis le beau temps a pris le relais et les 2 premières semaines de septembre ont été les plus chaudes jamais enregistrées à l’époque. C’est un millésime tardif, récolté entre mi-octobre et fin octobre. J’ai beaucoup aimé ce vin car il reflète plus que d’autres millésimes les caractéristiques. C’est un vin d’une grande fraîcheur, et d’une grande noblesse. On retrouve de jolies notes épicées, de la réglisse mais ce qui marque, c’est cette tension, cette allonge, ce caractère ! Les tannins sont toujours souples mais avec plus de muscles. 
Le point commun entre ces 4 millésimes ? L’élégance, la souplesse en bouche avec des tanins fondus dès le plus jeune âge, la fraîcheur qui signe un terroir tardif.

Une nouvelle activité d’oenotourisme

Lorsque la décision fut prise de rénover le chai (suite au gel de 2017 qui a réduit la récolte à peau de chagrin – tout est rentré dans 8 fûts !!! – et a paradoxalement permis d’entamer des travaux beaucoup plus facilement que lorsque les chais sont remplis du fait d’une nature généreuse..!) , la famille a également décidé de développer une activité oenotouristique pour accueillir clients et curieux et rendre d’une certaine manière l’accueil qu’ils ont reçu à leur arrivée dans la région.

Le visiteur entre par un couloir sensoriel plongé dans le noir et au fil de son cheminement, il vit au rythme de la vigne : le bruit des sécateurs lors de la taillle, les insectes qui vivent entre les feuilles, l’effeuillage, les orages estivaux qui apportent l’eau à la vigne, le bruit d’une grappe de raisin que l’on coupe, des cagettes que l’on empile, du tracteur qui apporte le raisin au pressoir au moment des vendanges. Il découvre ensuite le cuvier et ses impressionnantes cuves en inox, le chai à barriques, le chai expérimental. Il est accompagné pendant tout le parcours par les mots de Souleymane Diamanka, un poète et slameur qui a réalisé une belle collaboration avec le Château lors du premier confinement (je vous invite à regarder la vidéo, chaque mot est pesé, le rythme est formidable et Souleymane a su saisir l’essence du métier de vigneron)

Il monte ensuite à l’étage où il peut s’installer pour la dégustation des vins du domaine. C’est à ce moment que l’expérience voulue par la famille Decoster se distingue le plus de bien des visites de propriétés. Le visiteur peut choisir de s’installer dans une salle de dégustation, sur une table haute, dans un canapé, sur des poufs ou encore sur la terrasse extérieure avec la vue sur les vignes. Il est invité à choisir un vinyle, c’est son moment pour découvrir le vin comme s’il était chez lui. Les matériaux utilisés sont nobles, français et durables, les meubles ont été choisis avec soin. Attardez-vous sur la magnifique œuvre réalisée par Marik Korus, céramiste basée près de Royan et qui est composée de plus de 800 fleurs de porcelaine façonnées une à une à la main, clin d’œil à la vie passée des Decoster.

Les enfants qui avaient pu faire la visite avec une carte pour avoir une expérience ludique ou encore apprendre le cycle de la vigne avec des maquettes manipulables peuvent jouer, lire des BD. La volonté est d’offrir à chaque visiteur le meilleur accueil possible, que l’on soit enfant ou adulte, que l’on soit ou non en situation de handicap.

Les visiteurs choisiront lors de la réservation un forfait de dégustation (plusieurs vins de la propriété, plusieurs millésimes du grand vin de Fleur Cardinale, etc) mais ils pourront dans tous les cas décider s’ils le souhaitent de déguster d’autres vins puisque des machines Enomatic ont été installées, il suffit de passer une carte créditée pour déguster un, deux ou trois vins supplémentaires.

La famille a tiré le fil d’une philosophie made in France jusqu’à la boutique où elle propose une sélection réduite mais pleine de sens : les verres et carafes haut de gamme de la marque française Sydonios née à Bordeaux (la production a lieu dans la région de Bohême en République Tchèque), des tire-bouchons réalisés à partir de douelles de fûts ayant contenu les vins de Fleur Cardinale, de jolis crayons de couleur artisanaux, des sous-verres et vide-poche en cuir, des livres sur le vin. Petit détail amusant, les visiteurs peuvent écrire une carte postale et la déposer dans la boîte aux lettres du Château qui se charge de la poster.

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A la sortie, votre oeil sera peut-être attiré par une planche de surf aux couleurs de Fleur Cardinale, c’est ici encore le résultat d’une belle rencontre avec le champion de surf Vincent Duvignac : le deuxième et seul autre exemplaire sera mis aux enchères après avoir été surfée et dédicacée par Vincent au profit de la Surfrider Foundation qui oeuvre pour la protection de l’océan.


C’est une belle visite que je recommande ! Vous pouvez retrouver sur cette page toutes les informations sur l’activité oenotouristique et réserver votre visite (25€ à 35€ pour les visites individuelles avec également des forfaits famille et groupes).


PS : Je vous invite à aller faire un tour sur le compte instagram de Fleur Cardinale, Caroline ne sort jamais sans son appareil photo et capture notamment la faune locale avec beaucoup de talent !

* Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat rémunéré avec le Château Fleur Cardinale avec pour objectif principal de vous faire découvrir leurs engagements environnementaux / sociétaux et leur nouvelle activité oenotouristique. Ma liberté rédactionnelle a été totale ! *

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