Dégustation Bollinger RD

J’ai participé début mai à l’atelier Bollinger organisé lors de la 12ème édition du salon de la Revue du Vin de France. C’est la première fois que j’écris sur cette belle maison de Champagne que je commence pourtant à bien connaître et qui est certainement la maison de champagne que je préfère !


[Éléments introductifs]

Bollinger galerie 1829

La maison Bollinger a été fondée en 1829 et est installée à Aÿ (Vallée de la Marne), un des plus beaux villages pour le Pinot Noir. Le style Bollinger repose sur 5 grands piliers:

  • Un vignoble de 174ha (dont 85% de premiers et grands crus) qui permet d’assurer les 2/3 de l’approvisionnement en raisins de la maison. Le vignoble maison est d’ailleurs certifié Haute Valeur Environnementale niveau 3 depuis 2012 !
  • L’importance du Pinot Noir qui est le cépage dominant (minimum 60%) dans les assemblages des différentes cuvées.
  • Les vins sont élevés dans des fûts de chêne ancien  à 100% pour les cuvées millésimées, en partie pour Special Cuvée et Bollinger Rosé. La maison possède pas moins de 3000 tonneaux bourguignons et emploie un tonnelier dont Gilles Descotes explique qu’il est certainement le seul tonnelier à ne pas fabriquer de tonneaux, son rôle consistant à les maintenir en état le plus longtemps possible. Le but n’est pas de marquer le vin mais d’utiliser la micro-oxygénation du bois.
  • Les vins de réserve sont conservés en magnum bouchés liège qui subissent une légère prise de mousse. 760.000 magnums de vins de réserve (qui ont de 5 à 15 ans) dorment dans les caves de Bollinger et enrichissent les assemblages de Spécial Cuvée et Rosé.
  • Un temps de vieillissement 2 à 3 fois supérieur aux règles de l’appellation.

Le but de cet atelier était de découvrir la cuvée RD (Récemment Dégorgé) à travers plusieurs angles. 4 millésimes étaient au programme, dont deux dégustés à l’aveugle) et la dégustation s’est conclue avec la dégustation du vin rouge produit par Bollinger à partir d’une parcelle d’Aÿ: la Côte aux Enfants.

[Bollinger RD]

Bollinger RD

Pour comprendre l’apparition de la cuvée RD, il faut regarder au niveau de l’industrie du champagne : les années 60 ont été celles de la montée en puissance des cuvées dites de prestige au sein des maisons de champagne et Lily Bollinger alors aux rênes de la maison a subi une demande de plus en plus pressante de la part de ses importateurs. Sa première réaction a été de répondre qu’elle n’allait rien faire car tous les vins de la maisons étaient déjà prestigieux !

Elle envoya tout de même en 1963 un faible nombre de bouteilles de « Réserve 1947 » à son agent basé à New York et c’est en 1967 qu’une cuvée innovante sous sa forme définitive vit le jour, non pas un nouvel assemblage ou une nouvelle forme de bouteille mais un vieux champagne (1952 le 1er millésime donc 15 ans de vieillissement sur lies) traité comme un jeune extra-brut (très peu dosé et dégorgé quelques mois avant la commercialisation). On a donc des arômes évolués au nez et une fraicheur en bouche qui vient contredire nos attentes.

Trois millésimes furent lancés simultanément: Bollinger RD 1952 partît au Royaume-Uni, Bollinger RD 1953 fut présenter sur les marchés français et suisse pendant que Bollinger RD 1955 traversait l’Atlantique pour alimenter le marché américain.

25 millésimes de Bollinger RD ont depuis été commercialisés: 1952, 1953, 1955, 1959, 1961, 1964, 1966, 1969, 1970, 1973, 1975, 1976, 1979, 1981, 1982, 1985, 1988, 1990, 1995, 1996, 1997, 1999 (magnums et jéroboams uniquement), 2000 (édition limitée de 350 jéroboams) 2002 et enfin 2004.

Il s’agit du même assemblage que la Grande Année mais il s’agit d’un autre projet de vin et toutes les Grandes Années ne deviennent pas des RD: il a par exemple d’ores et déjà été décidé que la Grande Année 2005 ne deviendra pas un RD car c’est un millésime qui manque de fraîcheur, de tension et qui a déjà atteint son pic de maturité: un vieillissement prolongé sur lies ne lui apporterait rien.

[Verticale Bollinger RD]

Nous commençons cette verticale de RD par le dernier millésime commercialisé qui a été présenté il y a quelques semaines: RD 2004.

RD 2004

Le millésime

2004 a été une « année incroyable » car très généreuse (beaucoup de rendements, elle venait après le catastrophique millésime 2003, la vigne avait fait des réserves en ne produisant pas). On craignait une dilution mais qui ne vient pas car le mois de septembre sera 20% plus ensoleillé qu’un mois de septembre moyen, avec 2°C de plus et 80% de pluie en moins. La maturité se fait tranquillement dans des conditions sanitaires parfaites.

Dégustation

66% de Pinot Noir, 34% Chardonnay. Dosage: 3g/l. La bouteille a été dégorgée le 7 novembre 2017 (soit 12 ans de vieillissement sur lies et 6 mois post-dégorgement).

Bollinger RD 2004

Une couleur or assez pâle, une effervescence délicate et très fine.

Le nez est sur l’amande grillée, la brioche, des notes légèrement oxydatives.

En bouche, c’est très crémeux avec un milieu de bouche puissant. Le fruit ressort plus que dans mon dernier souvenir de dégustation de la Grande Année 2004. L’acidité est moyenne et le vin a une belle longueur. La Grande Année 2004 avait été un coup de coeur lorsque je l’avais dégustée pour la première fois, ce RD 2004 a amplifié sa noblesse, l’a fait s’étoffer et lui confère une finale d’une grande fraicheur. C’est l’archétype du champagne Bollinger dans le style !

RD 1996

Nous continuons la dégustation avec deux vins servis à l’aveugle dont nous apprendrons une quinzaine de minutes plus tard qu’il s’agit en réalité du même millésime mais dont l’un a été dégorgé le 20 novembre 2017 (donc 20 ans sur lies et 6mois post-dégorgement) et l’autre le 21 mai 2012 (15 ans sur lie et 6 ans post-dégorgement). C’est un exercice fascinant tant la personnalité du vin change.

 

 

 

Le millésime

Dans son apparté sur le millésime, Gilles Descotes explique que beaucoup de maisons ont cueilli à 10° dés l’ouverture des vendanges mais il fallait attendre car ces maisons ont produit des vins avec une belle acidité mais austères, qui se se sont décharnés avec l’âge alors qu’on leur prédisait un avenir glorieux.

1er vin servi à l’aveugle

Bollinger RD 1996 vs Bollinger RD 2004

La robe est d’un or plus soutenu que le premier vin. Au nez, je suis surpris car le champagne semble presque plus jeune que le 2004, on est sur des notes d’agrumes, de fruits blancs.

En bouche, c’est un vin vif, fougueux avec une acidité qui soutient la fin de bouche et l’emmène très loin ! Un grand vin.

2ème vin servi à l’aveugle

Le vin que je porte à mon nez est tout autre, il est plus puissant on est sur une autre classe d’arômes, grillés / toastés mais aussi tertiaires avec des notes – assez subtiles tout de même – de champignons, de sous-bois.

En bouche c’est complexe, puissant, vineux, il y a de la sérénité mais avec de la force pour tenir avec un bel équilibre acide dont la trame me rappelle le vin précédent. C’est vraiment un beau vin qui semble patiné par l’âge avec toujours une belle fraicheur.

Gilles Descotes nous demande alors nos hypothèses concernant le millésime. Nous penchons tous pour 1996 pour le premier vin mais pour le second, je cherche un millésime avec un tel niveau d’acidité entre 1996 et 1988 (les vins étant classés du plus jeune au plus vieux et le dernier étant connu..) en vain. L’équation impossible prend tout son sens lorsque le chef de cave dévoile qu’il s’agit du même millésime avec cinq ans d’écart dans le dégorgement ! C’est l’occasion de voir l’effet du vieillissement post-dégorgement sur le vin et Gilles Descotes explique qu’à la Cour d’Angleterre, le sommelier garde Spécial Cuvée en cave 10 ans avant de le servir à table ! On perd 1 bar de pression tous les 10 ans en moyenne (6 bar de pression au moment de la prise de mousse), ce qui laisse un certain potentiel de vieillissement pour que chacun trouve son compte dans les arômes souhaités tout en conservant l’effervescence du champagne !

RD 1988 en magnum

Millésime

1988 est un millésime acide (9g d’acide), à maturité assez faible avec des vendanges tardives (début octobre). C’est un millésime qui a produit de magnifiques champagnes qui sont aujourd’hui à leur apogée.

RD 1988

On trouve une grosse majorité de Pinot Noir dans l’assemblage : 72% contre 28% de Chardonnay. Dosage extra brut de 3 à 4g par litre toujours. Bouteille dégorgée le 1er septembre 2003 (pour la petite anecdote, il s’agit d’un lot qui a été retrouvé  par hasard dans une galerie en 2011).

Bollinger RD 1988

La couleur est la plus soutenue des 4 champagnes servis.

Le nez est assez timide mais le vin a été servi un peu frais et en se réchauffant, il va gagner en intensité. Des arômes briochés, un peu de miel.

Au bouche, la fraicheur surprend, c’est un style plus aérien que les précédents, mais les notes qui arrivent nous rappellent que ce champagne a 30 ans: épices, zestes d’orange amère. Je ressens presque une présence tannique qui tapisse le palais, peut-être la manifestation du pinot noir. La tenue en bouche est très élégante, la finale très longue et le vin semble éternel, est à une apogée qu’on n’imagine pas se transformer de sitôt en déclin.

Ce vin me surprend car j’avais eu la chance de déguster un autre magnum dégorgé à la même date il y a 3 ans et j’avais le souvenir d’un vin certes encore très frais mais avec des notes de sous-bois et de champignons très développées, ce qui n’est absolument pas le cas ici ! Lorsque j’interrogerai Gilles Descotes à la fin de la dégustation à ce sujet, il me confiera que cette variation entre les bouteilles est un enjeu majeur pour Bollinger comme pour toutes les maisons. Pour y remédier, la première solution a été le jetting: lors du dégorgement, on injecte une goutte d’eau sulfitée à haute pression afin de faire monter la mousse qui va chasser l’air de la bouteille et éviter ainsi l’oxydation tout en permettant d’homogénéiser (vous pouvez voir ici cette opération réalisée chez Laherte Frères). La seconde solution est de recourir à des bouchons Diam (pour éviter le TCA qui donne le goût de bouchon ou encore les bouchons qui chevillent), c’est actuellement en test mais la maison fait preuve de prudence et ne l’a pas encore généralisé. J’ai d’ailleurs remarqué que les bouchons des RD 2004 et 1996 étaient différents 😉

Bouchons Bollinger RD 2004 et Bollinger RD 1996
Bouchon technique pour le 2004 vs Bouchon Diam pour le 1996

La Côte aux Enfants 2013

Pour conclure cette très belle dégustation, Gilles Descotes nous propose de déguster la Côte aux Enfants 2013, le vin rouge produit par Bollinger en quantités infimes (3 à 7.000 bouteilles en fonction du millésime).

La Côte aux Enfants

Jacques Bollinger a racheté les une après les autres toutes les parcelles de ce lieu-dit de la commune d’Aÿ jusqu’à le détenir en monopole. Cette cuvée a connu des difficultés: la maison ne l’a pas produite entre 2002 et 2009 car elle était trop irrégulière. Bollinger a procédé à une remise à plat de la viticulture et la parcelle est désormais cultivée en bio avec des rendements maitrisés, des vendanges en vert. La Côte aux Enfants est aujourd’hui vendue plus jeune, sur le fruit.

Sur cette parcelle, on pousse la maturité pour arriver à 12,5/13° et les rendements sont de l’ordre de 25 à 35hl/ha (des rendements similaires à la Romanée-Conti en Bourgogne contre 65 à 97hl/ha en Champagne). Après le pressurage, la macération à froid dure 1 semaine, on laisse la température remonter pendant une semaine et on effectue des remontages et des pigeages pendant encore 1 semaine. Le vin est ensuite élevé dans des fûts de minimum 6 ans pendant 8 mois.

La Côte aux Enfants 2013

Bollinger La Côte aux Enfants 2013

La robe est d’un grenat assez soutenu pour du Pinot Noir.

Le nez est très concentré, on trouve principalement des notes de fruits rouge (groseille, cerise) avec une pointe de réglisse.

En bouche, toujours des arômes de fruits rouges mais aussi du cranberry, et une fraicheur apportée par la vendange entière. La structure tannique est assez dense et me gêne un peu à ce stade. 2009 et 2012 que j’ai pu déguster en d’autres occasions m’avaient laissé le souvenir d’une plus grande élégance. Je pense que quelques années de plus de vieillissement seront bénéfiques à ce vin qui reste un grand vin rouge de champagne !


Une dégustation passionnante avec un chef de cave très humble ! Life can be perfect when one drinks Bollinger..!

3 comments on “Dégustation Bollinger RD

  1. J’ai reçu un cadeau un Bollinger RD 1996.

    Je ne bois pas d’alcool alors je me demande combien vaut ce champagne et combien je pourrais avoir si je le vendais.

    Merci
    Marie Claude Noel

    • Bonjour Marie-Claude, c’est un très beau cadeau car c’est un magnifique millésime, surtout sur cette cuvée de Bollinger ! Cela vaut entre 250€ et 300€ aujourd’hui. Bonne soirée.

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