Pour la deuxième étape du cycle Champagne que j’ai organisé avec In Vino Veritas Sciences Po, nous avons reçu Olivier Krug et Guillaume Desport, oenologue et membre du Comité de Dégustation de la maison Krug.
Ce fut une très belle dégustation et surtout un bon moment d’échange: Olivier Krug est très accessible, c’est un excellent orateur et le dialogue s’est assez vite installé. Il a également sa vision de ce que doit être le champagne, pas un vin mais un moment de plaisir et de partage, vision que je ne partage pas tout à fait dans mon rapport au champagne puisque je m’intéresse beaucoup au terroir, au travail du vigneron, mais c’est cette idée qui a guidé la construction de l’image et du storytelling de la maison Krug ces dernières années, avec le succès qu’on lui connait.
L’histoire justement est un pilier de la maison qui repose sur l’héritage de son fondateur, Joseph Krug, puisqu’aujourd’hui encore, les valeurs de la maison, le mode d’élaboration des différentes cuvées et le choix même de ces cuvées sont guidés par la vision de Joseph Krug.
« C’est l’histoire d’un homme… »
Joseph Krug a commencé sa carrière au sein de la maison Jacquesson qui était à l’époque une des plus grandes maisons de champagne. Il entretiendra de très bonnes relations avec Adolphe Jacquesson qui a le même âge que lui (les familles se rapprocheront même par le biais de mariages) et il deviendra associé dans l’entreprise. En 1842, il décide toutefois de quitter la maison Jacquesson suite à des divergences concernant le niveau d’exigence que devrait avoir une maison de champagne dans la confection de ses vins.
Joseph Krug va alors s’associer à Hippolyte de Vivès avec qui il travaillait secrètement depuis 1840. Il a consigné dans un petit carnet en cuir sa vision du champagne et ses préceptes pour y parvenir. ils sont passionnants car en quelque lignes se trouve résumée l’essence de la maison Krug qui ne s’est jamais altérée. Joseph Krug explique ce qui semble aujourd’hui relever du bon sens:
On ne peut obtenir de bons vins sans y employer de bons éléments et des vins de bons crus. On a pu obtenir d’apparence de bonnes cuvées en employant des éléments et des crus moyens ou même médiocres; mais ce sont des exceptions sur lesquelles il ne faut jamais compter, ou on risque de manquer son opération ou perdre sa réputation.
Il y a donc une conscience de l’impérieuse nécessité d’avoir une bonne réputation, et une obsession pour la qualité des crus.
Joseph Krug poursuit et explique quels champagnes une maison devrait produire:
En principe, une bonne Maison ne doit pas créer que deux cuvées de la même composition:
Cuvée n°1: Cette composition doit être changée selon l’année. Si les vins sont corsés, il faudrait prendre plus de vins légers et faire le contraire si les vins sont trop légers comme, par exemple, ceux de 1848.
Cuvée n°2: Pour le changement, suivant les années, comme ci-dessus et d’après les circonstances.
Ici sont décrits les 2 champagnes qui sont encore aujourd’hui l’âme de la maison: Krug Grande Cuvée, « un Champagne de la meilleur qualité, affranchi des aléas de l’année » et composé de plus de 120 vins différents, et Krug Vintage, la synthèse du meilleur de l’année, un vin qui raconte l’année. La démarche de Krug est intéressante: il n’y a pas de hiérarchie dans la « gamme », toutes les cuvées sont au même niveau.
En 1986 puis en 2008, la maison Krug a introduit deux nouvelles cuvées: Clos du Mesnil et Clos d’Ambonnay, des champagnes parcellaires. Il y a eu beaucoup de débats (en interne, mais aussi au sein de la communauté du vin sur ces nouvelles cuvées qui semblaient contredire la vision de Joseph Krug consistant à porter à son paroxysme la logique d’assemblage. Olivier Krug justifie cette évolution par l’obsession pour l’individualité poussée au point de créer un champagne exceptionnel à partir des mouts provenant d’une parcelle exceptionnelle, au Mesnil-sur-Oger dans un cas, à Ambonnay dans l’autre.
Grands principes d’élaboration
Cette obsession pour l’individualité a une conséquence directe: il y a autant de vinification qu’il y a de parcelles, ce qui permet d’obtenir des vins qui expriment l’individualité de la parcelle et de pouvoir in fine composer tel un peintre la Grande Cuvée où la Cuvée Millésimée. Il y aura ainsi 19 Mesnil, 20 Ambonnay, etc.
En 2014 par exemple, les volumes ont été tellement faibles qu’ils auraient pu tenir dans 3 cuves, mais 240 vinifications ont été effectuées.
Par ailleurs, Krug construit et renouvelle sans cesse une « librairie » de plus de 150 vins de réserve conservés en cuves en acier inoxydable dont le doyen est actuellement un chardonnay d’une parcelle d’Avize de la vendange 1998.
La maison Krug possède 21ha qui lui sont propres et peut également s’approvisionner dans les 1300ha que possède le groupe Moet Henessy auquel elle appartient. Une grande partie des raisins provient également de contrats avec des vignerons qui vendent aux maisons leur récolte.
Dégustation
Nous avons dégusté dans l’ordre Krug 2003, Krug 2000, Krug Grande Cuvée et Krug Rosé. J’ai indiqué les Krug ID qui sont une petite touche personnalisée que je trouve très intelligente: sur chaque bouteille est apposé un numéro qui permet d’avoir accès sur internet à toutes les informations concernant sa bouteille: combien de vins entrent dans sa composition ? combien de temps est-il resté dans les caves de la maison ? Quand a-t-il été dégorgé ?
Krug 2003
L’année 2003 a été très particulière en champagne, peu de maisons ont millésimé et pour celles qui l’ont fait, ce fut très difficile. 40% de la récolte a été perdue lors de gelées au printemps, la fleur s’est déclenchée avec 3 semaines d’avance et les vendanges ont commencé le 23 aout; c’était la première fois depuis 1822 que les vendanges commençaient aussi tôt en champagne ! C’est une année caractérisée par la canicule.
Dans l’assemblage de ce Krug 2003, on ne trouve pas les Grands Crus classiques (Avize et le Mesnil avaient cramé, Aÿ, le Mareuil-sur-Aÿ et Bouzy auraient été trop puissants). En revanche, Krug n’ayant pas créé Clos d’Ambonnay en 2003, les raisins de la parcelle ont été utilisés dans l’assemblage et lui apportent la structure. On peut noter que des Pinots Meuniers de la vallée de la marne ont également été utilisés. Encore une fois, il n’y a pas de sous-parcelle, de sous-village, chaque choriste met sa voix à la disposition du chef d’orchestre qui saura en tirer le meilleur au sein du choeur.
Lorsque l’on déguste Krug 2003, surnommé « Vivacité Solaire » on ne ressent pas la sécheresse que l’on pourrait attendre, mais au contraire, il y a une grande fraicheur, de la vivacité. Il est tout en verticalité. Au nez, on perçoit des notes légèrement grillées, en bouche, à l’attaque on est sur l’agrume, avec un côté salin, iodé en fin de bouche.
Krug 2000
.
.
ID: 313041
2000 est un mauvais souvenir pour les vignerons car ce fut une année ponctuée d’orages. Le 15 aout notamment, un orage ravage le Mesnil-sur-Oger (le Clos du Mesnil est miraculeusement épargné). Lors de la dégustation des vins clairs en revanche, perfection est le mot qui revient sur toutes les lèvres.
2000 est présenté par Olivier Krug comme un millésime classique de Krug. Surnommé « gourmandise orageuse », c’est un champagne effectivement plus gourmand: il est généreux, ample, et sa longueur en bouche est incroyable.
.
Krug Grande Cuvée
ID: 213035
Pas moins de 134 vins différents de 12 années différentes, de 1990 à 2006 (base) ont été assemblés pour obtenir ce champagne dégorgé en 2013, et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on ressent cette diversité dans la complexité du vin que l’on déguste. C’est une explosion de saveurs avec des notes grillées, des agrumes confits, des fruits secs. Le tout est toujours d’une grande fraicheur. Ce vin parvient à faire cohabiter des caractéristiques que l’on oppose en général: élégance et ampleur, maturité et fraicheur. Grande Cuvée est la démonstration de la volonté de Joseph Krug de mettre toutes les cuvées au même niveau: pas un des 3 vins ne surpasse les 2 autres, chacun a sa particularité, mais il demeure une trame, une empreinte Krug, il y a une véritable cohérence.
Lors du diner qui a suivi la dégustation, nous avons bu une Grande Cuvée dégorgée en 2013 également mais dont la base était 2003 et le plus vieux vin 1988 (ID: 313052) et nous avons pu apprécier les bienfaits d’un vieillissement en cave: le champagne avait gagné en profondeur et on sentait qu’une nouvelle classe d’arômes commençait à se développer. Servi moins frais que les vins de la dégustation, les notes de miel ont pu faire leur apparition.
Krug Rosé
Pour achever ce voyage dans l’univers Krug, nous avons dégusté Krug Rosé qui fut créé pour la première fois en 1976, par l’adjonction d’un vin rouge provenant de pinots noirs d’une petite parcelle située à Aÿ.
C’est une cuvée très réussie en ce que ce n’est pas un rosé, c’est véritablement un champagne Krug, complexe, très aromatique avec des notes légèrement épicées. La matière est soyeuse, le vin glisse en bouche. C’est très subtil ! La couleur est également sublime, une teinte pêche très délicate.
—
Un grand merci à Olivier pour sa venue à Sciences Po pour la première fois en 18 ans et pour ce moment de partage !
Olivier Krug est très proche de la communauté des « Krug Lovers » et il a adopté une communication très inventive et tout sauf institutionnelle. Je vous encourage à le suivre sur twitter et instagram (@krugoli), vous y suivrez ses pérégrinations (ainsi que celles de son étui à bouteille en cuir Moynat paré de ses initiales O.K, photographié aux quatre coins du monde tel le nain de jardin d’Amélie Poulain), les moments clés de l’élaboration des champagnes Krug comme si vous y étiez, ses moments de partage avec les « Krug Lovers », etc.
[…] plus tôt dans l’année) et j’ai choisi de convier les maisons Salon Delamotte, Krug et Dom […]
[…] Le blog a déménagé ! Rendez-vous sur https://www.lastringent.fr.Retrouvez cet article à l’adresse : https://www.lastringent.fr/degustation-champagnes-krug/ […]