De passage en champagne à l’invitation d’une grande maison, je souhaitais découvrir comme à chacune de mes venues un nouveau domaine. J’avais lu à plusieurs reprises (sur le forum La Passion du Vin, dans les écrits du passionné de champagne Peter Crawford – que vous pouvez suivre sur facebook et twitter sous le nom alavolee) beaucoup de bien du domaine Fallet-Prevostat à Avize, sur la Côte des Blancs.
Rendez-vous fut pris, et le jour J, arrivé à l’adresse indiquée, nulle plaque indiquant le domaine. Sur la porte, un carton sur lequel est écrit hâtivement: « fermé (sauf rendez-vous déjà pris) ».
Nous sommes accueilli par Madame Fallet qui, à plus de 80 ans, continue à gérer le domaine et à recevoir ses nombreux clients.
Madame Fallet nous explique la naissance de son domaine, son mari en charge de la vinification et elle de la commercialisation. Le premier vin est commercialisé en 1960 puis après quelques années, une fois l’activité bien lancée, le couple prend la décision de laisser vieillir ses champagnes bien plus longtemps que ce que le cahier des charges de l’appellation Champagne requiert: 7 ans au lieu de 15 mois.
Chez Fallet-Prevostat, on ne trouve que 3 cuvées dont le vin est le même: un assemblage de deux millésimes, 1/3 du plus ancien, 2/3 de la vendange de l’année. La différence vient du dosage: non-dosé (0g de sucre/l), extra-brut (4g/l) et brut (6g/l). Un certain nombre de bouteilles de chaque cuvée sont mises de côté et reposent sur leur lies, constituant ainsi une forme d’oenothèque. Sylvie Fallet, la fille de Mme Fallet, nous expliquera d’ailleurs plus tard que lors du dernier anniversaire de sa mère, 2 bouteilles de champagne Fallet base 1969 ont régalé les papilles des invités….
Le domaine exploite 5 hectares de vignes classées Grand Cru à Avize, en coteaux exposés Sud-est, avec un sol calcaire. Ce sont des vieilles vignes: 50 ans en moyenne, 80 ans pour les plus anciennes.
Les vendanges commencent presque toujours quelques jours après le coup de départ officiel donné par le CIVC et peuvent parfois s’étendre sur 2 semaines.
Nous goutons alors les différentes cuvées. Je n’ai pas pris de notes et ne peux donc pas restituer avec beaucoup de détails la dégustation. Ce sont des vins de base 2009 avec 1/3 de vin de la vendange 2008.
Le non-dosé dénote avec les cuvées du même type que l’on peut trouver ailleurs. La richesse du vin (vieilles vignes, exposition, maturité des raisins) et son vieillissement prolongé sur lies en font un vin d’une grande complexité là où certains non-dosés sont parfois caractérisés par un grand mordant et une finale très courte. La minéralité apportée par le sol calcaire donne la fraicheur nécessaire à l’équilibre du vin, et l’on ressent très bien l’acidité apportée par les raisins de la vendange 2008. La couleur est d’un doré assez soutenu, et l’effervescence élégante.
L’Extra-Brut est pour moi le champagne le plus équilibré, le dosage apportant ce qu’il faut de rondeur pour « arrondir les angles » en parfaite cohérence avec l’esprit du vin.
Le Brut est celui des 3 qui m’a le moins séduit: le vin est suffisamment riche pour ne pas avoir besoin d’un dosage trop conséquent et l’on bascule avec le brut dans un vin moins équilibré (il s’agit bien sûr d’un goût personnel).
Madame Fallet évoque alors les difficultés actuelles du domaine: son mari a d’importants soucis de santé et ne peut plus réaliser les tâches dont il avait la charge. Il dégorgeait seul les quelques 30 000 bouteilles produites chaque année par le domaine, c’est désormais une entreprise qui vient ponctuellement dégorger du vin lorsque les stocks s’amenuisent. Les deux filles du couple, toutes deux médecins, dédient chacune une journée par semaine au domaine familial afin de soutenir leur mère mais on sent que la situation ne pourra pas durer éternellement. La transmission familiale n’est pas non plus une évidence: le petit-fils avait un temps envisagé de reprendre le domaine mais semble avoir finalement changé d’avis. Madame Fallet évoque les grandes maison à l’affût et on sent une certaine tristesse à l’idée que son activité ne se perpétue pas, tristesse ô combien partagée.
Madame Fallet nous propose de visiter les caves en compagnie de sa fille. Démarre alors un voyage dans le temps. Ici, un pressoir ancien, là, des foudres de 23 à 46hl âgés de 40 ans. La fermentation malo-lactique est obtenue en chauffant la pièce au moyen de petits radiateurs. Les vins reposent alors en foudre jusqu’en août de l’année suivante, juste avant les vendanges ( quand certains domaines effectuent le tirage en décembre).
Nous descendons dans les galeries creusées dans la craie qui s’étendent sur 3 niveaux. Des dizaines de milliers de bouteilles sont empilées. Ici et là, des trous dans les murs de bouteilles: des bouteilles qui ont explosé au cours de la 2ème fermentation.
Des bouteilles bouchées liège attirent mon attention. Sur les feuillets qui y sont accrochés, sont griffonnées des années. Sylvie Fallet m’explique alors que sont disséminés dans les galeries des vins de nombreux millésimes. Sur un pupitre, on aperçoit des bouteilles sérigraphiées créées pour le passage au nouveau millénaire.
Ces caves sont une caverne d’ali baba et sont remplies de vestiges d’un autre temps. Les pupitres n’accueillent plus que les demi-bouteilles et magnum, les bouteilles étant remuées par gyropalette. Les bouteilles sous liège ne quittent en ce moment plus les caves, M. Fallet n’étant plus en capacité de dégorger ces vins qui ne peuvent l’être que manuellement.
Nous remontons à la surface, et c’est avec des étoiles dans les yeux mais surtout une certaine tristesse que je quitte le domaine, devant le triste spectacle de la décadence de la champagne traditionnelle, confrontée à la pression des grands, à la crise des vocations et à la difficulté de transmettre une activité viticole aujourd’hui plus aussi attractive pour les jeunes.
J’espère sincèrement que ce magnifique domaine perdurera sous cette forme, ce sont la mémoire de la champagne, l’identité des villages et la diversité des vins (que l’on retrouve si bien en Bourgogne) qui en dépendent.
Je suis client de cette maison, aussi discrète que traditionnelle produisant un champagne de qualité et dont les prix raisonnables semblent plus rémunérer le vigneron qui travaille qu’à engraisser une holding financière qui aurait fait main basse sur une propriété. Madame Fallet nous avait aussi proposé une visite de ses caves qui nous avait impressionné : une véritable caverne d’Ali Baba dont l’incertitude quant à son avenir inspire beaucoup d’inquiétude. La dernière fois que nous étions passé, Monsieur et Madame Fallet nous avaient présenté leur petit fils, lequel semblait être sur la voie de la succession. Nous avions trouvé cette nouvelle très encourageant et porteuse d’espoir pour cette famille Les informations que vous nous transmettez maintenant semblent indiquer que cette voie n’est plus d’actualité et que cette propriété risque d’être la proie d’investisseurs dont l’appât du gain dépasse largement le souci de préserver l’art du vigneron soucieux d’une production à la fois de qualité et d’un prix abordable. C’est une fin assez banale comme en connaissent beaucoup d’exploitants champenois, mais c’est avant tout fin d’une infinie tristesse…
La situation ne semblait pas gravée dans le marbre, le petit-fils était dans une situation d’hésitation entre partir à l’aventure et reprendre le domaine, la situation a peut être évolué depuis mon passage au domaine, c’est en tout cas un voeu que je formule..! Merci pour votre commentaire !
Bravo. Je bois ce vin depuis plus de 20 ans grâce à des amis de la Marne qui me fournissent et j’adore aussi l’extra brut ! Il est à la fois élégant et suffisamment vineux pour accompagner l’apéritif ou une entrée de saint jacqués par exemple . Puisse le petit fils reprendre , tous nos encouragements!
Jean marc
Bonjour Jean-Marc et merci pour votre commentaire ! Une très belle découverte que ce champagne et cette famille, j’espère également qu’il y aura une succession heureuse !
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