La 164ème vente des vins des Hospices de Beaune

Il y a des marronniers plus agréables que d’autres : chaque 3ème dimanche de novembre, Beaune devient le centre du Monde grâce à la plus ancienne vente aux enchères de charité viticole du monde au cours de laquelle les vins (encore en fûts) du domaine des Hospices de Beaune sont mis en vente. La particularité cette année est que les 60ha du domaine sont désormais certifiés viticulture biologique après 3 ans de conversion !

Les chiffres sont tombés il y a quelques jours : le vignoble français a connu une baisse des volumes de 23% en 2024 par rapport 2023. Les vignerons sont unanimes sur le caractère extraordinaire d’une année qui aura nécessité une attention de tous les instants. Dans ces conditions, la vente des vins des Hospices de Beaune qui donne traditionnellement le la du millésime dans la région est peut-être encore plus scrutée que les autres années : quelle est la qualité du millésime ? Quelle sera la tendance sur les prix qui ont baissé en 2023 (-14%) après des années d’augmentation ?

Ce sont 438 pièces qui ont été mises aux enchères ce dimanche 18 novembre : 321 pièces de vin rouge, 117 pièces et 3 feuillettes de vin blanc. Soit une quantité inférieure de  41% par rapport au nombre de pièces du millésime 2023 (753 pièces) et  de 45% au nombre de pièces du millésime 2022 (802 pièces)

Comment décrire l’année 2024 ?

Ludivine Griveau a choisi le mot Expérimentale. 2024 a été l’année de la fin de la conversion en bio des 60 hectares du domaine dont les vins sont désormais officiellement certifiés, ce qui signifie que les seuls traitements disponibles sont des traitements préventifs. La pluviométrie a atteint des sommets : le printemps a été le 4ème le plus arrosé jamais enregistré depuis 1959, une différence de +87% par rapport à la normale. Les 23 personnes de l’équipe du domaine ont ainsi du traiter chaque semaine (15 à 16 traitements selon les secteurs sur toute la durée de la campagne !) pour assurer la présence continue de cuivre protecteur pour la vigne. Pour expliquer la faible récolte, Ludivine Griveau a analysé la campagne et identifié 3 moments clés : 
– Fin avril et début mai, des températures très froides ont engendré des dégâts dignes d’un épisode de gel juste après la fin des travaux d’ébourgeonnage.
– Au moment de la floraison dans la première quinzaine de juin, la fécondation n’est pas optimale, ce qui engendre un phénomène de coulure.
– La pression de mildiou et d’oïdium aura été forte sur une grande partie de la campagne, le domaine subit en juillet une attaque tardive de rot brun qui ne sera constatée que début août (et qui pourrait être due aux gros orages du 6/7 juillet).

Les vendanges débutent le 11 septembre dans le mâconnais avec Chaintré, Beaune et Volnay sont récoltés à partir du 13. Étonnamment, les chardonnay de Côte d’Or se seront fait désirer, les Meursault 1er Cru Les Genevrières ont été les premiers à être vendangés à partir du 17 septembre tandis que les Saint-Romain ont été pressés au même moment que les Clos de la Roche et les Echezeaux le dimanche 22 septembre. Sur les 45 cuves de la cuveries, seules 28 ont été utilisées, les quantités récoltées ne permettant pas toujours de réaliser des vinifications parcellaires (ainsi, les premiers crus de Volnay de la cuvée Blondeau ont été rassemblée dans une même cuve) 

J’ai pu déguster le samedi 17 novembre 48 des 51 cuvées et le moins que l’on puisse dire, c’est que si les quantités sont faibles du fait des lourdes pertes occasionnées au cours de l’année et d’un tri conséquent (3  à 5% des raisins ont été écartés) à la vendange, la qualité est au rendez-vous ! Les rouges ont ces profils frais que l’on avait peur de ne plus retrouver tout en ayant pu atteindre un bon niveau de maturité, avec des fruits souvent éclatants et de très belles acidités qui portent les vins tandis que que les blancs cumulent pureté de fruit, tension et mâche avec là aussi de très belles acidités.

L’exercice de dégustation dans une phase aussi précoce est toujours délicat et un vin peut se présenter sous un très beau jour le lundi et se révéler plus ingrat le mardi. Avec ces précautions en tête, mes préférences sont allées : 

Pour les rouges :

  • Le Monthelie Les Duresses cuvée Lebelin : l’une des cuvées les plus abordables du domaine, un vin juteux, avec des notes de prune, des tannins très souple et une touche d’astringence en fin de bouche
  • Le Pernand-Vergelesses 1er cru Les Vergelesses cuvée Rameau-Lamarosse : de très beaux fruits rouges au nez, une texture de velours et une structure contrebalancée par une jolie acidité
  • Le Beaune 1er cru cuvée Brunet : séduisant avec des arômes fruits rouges et des notes plus terriennes, élancé en bouche avec un grain de tannin d’une grande finesse malgré une structure certaine
  • Le Beaune 1er cru Cuvée des Dames Hospitalières : un vin avec de la mâche, de la densité, taillé pour une paire d’années de garde.
  • Le Volnay 1er cru cuvée Général Muteau : un vin d’une grande délicatesse qui danse sur le palais avec une texture soyeuse
  • Le Volnay 1er cru les Santenots cuvée Jehan de Massol : une plus grande complexité au nez avec des fruits noirs et des arômes secondaires mais avec une délicatesse dans la texture et une précision dans la trame en bouche qui nous rappellent que nous sommes sur l’un des plus beaux terroirs de Volnay !
  • Le Pommard 1er cru cuvée Dames de la Charité : un superbe Pommard, concentré, avec de la structure mais tout en ayant une finesse de tanin, une sensualité et une persistance qui le rendent irrésistible !
  • Le Corton Grand Cru Bressandes cuvée Charlotte Dumay est la plus accessible des cuvées de Corton avec des fruits rouges à la fois croquants et profonds et une texture très séduisante.
  • L’Echezeaux Grand Cru cuvée Jean-Luc Bissey est dans l’introspection, il ne se dévoile pas beaucoup à ce stade mais sa texture de velours, sa puissance contenue et sa noblesse laissent présager un bel avenir
  • Le Clos de la Roche Grand Cru cuvée George Kritter et cuvée Cyril-Chaudron est plus expressif avec une très belle concentration de fruits rouges et une trame élancée, son énergie et sa longueur impressionnent
  • Le Mazis-Chambertin Grand Cru cuvée Madeleine Collignon est lui aussi relativement timide mais le vin est précis, avec un début de bouche presque éthérée avant de retrouver de la structure en milieu de bouche et des tannins d’une grande sensualité en fin de bouche. 

Pour les blancs, vers :

  • Le Beaune 1er cru Clos des Mouches cuvée Hugues et Louis Bétault : un nez expressif sur les fruits à noyau, une bouche ronde, généreuse tout en étant porté par le juste niveau d’acidité
  • Le Meursault Premier Cru Genevrières cuvée Philippe le Bon : un nez d’une grande élégance sur les notes d’agrumes, florales et de fruits blancs, une très belle concentration en bouche tout en étant tendu, précis. 
  • Le Meursault Premier Cru Charmes cuvée de Bahèzre de Lanlay : rondeur, générosité, épaisseur avec l’embryon du gras des vins de Meursault que l’on aime tant
  • Le Corton Charlemagne cuvée Roi Soleil : éclat, matière, intensité, acidité, tout est là pour obtenir un très grand vin

Les résultats de la vente

Pour la 4ème année, la vente était orchestrée par la maison Sotheby’s et la vente de la Pièce des Présidents (voir encadré ci-dessous) était au profit des associations caritatives Médecins Sans Frontières et la Global Gift Foundation soutenues par Dominic West, Eva Longoria, Zabou Breitman et Jean Reno.

La vente d’une durée de 6h a totalisé 13 944 200 € au bénéfice des Hospices Civils de Beaune, ce qui en fait la 5ème plus grosse vente de l’histoire (3ème prix à la pièce le plus élevé après 2021 et 2022). La vente a connu une dynamique étrange allant d’une tendance baissière au début (la série de Beaune 1er Cru Cuvée des Dames Hospitalières qui ouvrait le bal affichait -10% par rapport à 2023, la série de Beaune 1er Cru Cuvée Guigone de Salins affichait -17,5%) jusqu’à de fortes hausses à la fin en passant par des accès de fièvre sur certaines pièces. A l’arrivée, le prix moyen à la pièce est en hausse pour les blancs (+8%) et en baisse pour les rouges (-5,4%)

Dans les rouges, au rayon des hausses,  +13% pour le Pommard premier cru Les Epenots Cuvée Dom Goblet, +19% pour le Volnay 1er Cru Cuvée Blondeau, +29% pour le Corton Grand Cru Clos du Roi cuvée Baronne du Baÿ (l’acheteur de la première pièce a fait une belle affaire, les suivantes ont été plus disputées avec un prix passant de 47.000€ à 61 000€ !), +45% pour le Pommard Cuvée Billardet (3 pièces seulement), +28% pour l’Echezeaux grand cru cuvée Jean-Luc Bissey, +46% pour le Beaune 1er cru cuvée Rousseau-Deslandes et c’est le Monthelie Les Duresses cuvée Lebelin qui a connu la plus grosse hausse, +69% !

Dans les blancs, le rare Puligny-Montrachet cuvée Bernard Clerc (1 pièce, comme en 2023) a connu une hausse de 60%. Le Batard-Montrachet cuvée Dames de Flandre a battu le record pour une pièce de blanc (355 000€) et la maison Albert Bichot (plus gros acheteur de la vente depuis XXX avec XXX pièces achetées cette année) s’est offert le luxe d’acquérir les 3 pièces et la feuillette pour une somme totale de 1 246 000€ ! Le Corton blanc grand cru Docteur Peste s’arrache à +19%, le Beaune blanc 1er cru Les Montrevenots cuvée Suzanne et Raymond à +24,5%, le Saint Romain cuvée Joseph Menault à +32%, le Meursault 1er cru Les Porusots cuvée Jéhan-Humblot à +34,7%, le Meursault 1er cru Les Genevrières cuvée Baudot à +35% et le Meursault cuvée Loppin à +59% ! En revanche, le Corton Charlemagne grand cru cuvée François de Salins affichait -16%, et le  Corton Vergennes grand cru cuvée Paul Chanson -7,9%

La Pièce des Présidents

Depuis 1945, une pièce de charité est vendue au profit d’associations, il s’agit de la Pièce des Présidents. En 2023, la déception avait été grande devant le prix d’adjudication de la Pièce des Présidents : 350.000€. La cuvée était pourtant très prestigieuse, un Mazis-Chambertin Grand Cru et le fût choisit pour son élevage était hautement symbolique puisque ses douelles ont été confectionnées et assemblées par la tonnellerie Cadus à partir d’un chêne de 220 ans qui faisait partie des 10 arbres de la  forêt de Vibraye donnés par la famille d’Harcourt pour la reconstruction à l’identique de la charpente et de la flèche de la cathédrale Notre-Dame de Paris. 



Cette année, le coup de cœur de la régisseuse du domaine Ludivine Griveau s’est porté sur une cuvée de Beaune 1er Cru Les Bressandes et pour accentuer ce « retour à la maison » (cela faisait près de 15 ans que la Pièce des Présidents n’avait pas été un lieu-dit de Beaune, c’était en 2010, il s’agissait d’un fût de 500L de Beaune 1er cru cuvée Nicolas-Rolin emporté pour 400 000€ après un show de Fabrice Luchini dont les bourguignons se souviennent encore), le domaine a choisi un fût de la tonnellerie beaunoise Billon qui a sélectionné des bois de la fôret nivernaise de Bertranges.  La Pièce des Présidents a été adjugée pour 360 000€ à Alaor Pereira Lino, fondateur d’Anima Vinum Brésil qui avait déjà acheté la Pièce des Présidents en 2018 (j’ai eu l’immense privilège de pouvoir déguster les deux vins de cette double Pièce) et en 2019. Un don additionnel de 100 000€ a été ajouté par Francine Picart, représentante de la Famille Picard, acheteuse de la vente depuis 25 ans.

Médecins Sans Frontières ayant alloué les fonds à un projet très innovant de lutte contre la dengue au Honduras, M. Pereira Lino a déclaré : « Cette cause me tient particulièrement à cœur en tant que Brésilien. Nous connaissons malheureusement trop bien ce fléau, c’est donc avec plaisir que j’ai apporté ma contribution à ce projet porté par Médecins Sans Frontières »

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