Quel avenir pour le champagne ?

À l’occasion de la sortie de son livre « Stratégie et Marketing du Champagne », Martin Cubertafond a organisé à Sciences Po une table ronde sur le thème: « Quel avenir pour le champagne ? État des lieux du marché et grandes tendances des dix prochaines années. » Il a réuni à cette occasion un beau panel d’invités: Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons (et à ce titre co-président du Comité Champagne), Michel Drappier, propriétaire du Champagne Drappier et Bertrand Gautherot, « vigneron artisan » du domaine Vouette et Sorbée. Pierre-Emmanuel Taittinger devait prendre part à la table ronde et porter ainsi la voix des Maisons de Champagne mais il a malheureusement dû annuler sa participation.

Introduction

Martin Cubertafond a commencé par dresser un état des lieux du marché du champagne. Ce marché pèse aujourd’hui 4,9 milliards d’euros, soit une augmentation de 35% en 30 ans. La croissance est fondée sur une augmentation des volumes (+31%) et non des prix (+4%). Cette augmentation des volumes est due à la fois à une augmentation des rendements et à une augmentation de la surface plantée (x3 en 60 ans). Toutefois, la champagne est désormais plantée à 96%, cette croissance atteint donc un plateau. 

Depuis 2010, nous sommes entrés dans une nouvelle ère puisque la valeur augmente (+2,5%) alors que les volumes diminuent (-0,6%), grâce à l’augmentation des prix moyens (+3,1%). 

Le modèle champenois est spécifique puisque les maisons possèdent 10% des vignes et vendent 72% des bouteilles.

Le foncier est un sujet majeur aujourd’hui en champagne puisque le prix de l’hectare de vigne a été multiplié par 6 entre 1990 et 2016 (prix moyen: 1,1M/ha en 2016). Il faut 54 ans de revenus de la vigne pour rentabiliser l’achat d’un hectare. 

Le prix du kg de raisin augmente également plus vite que le prix de la bouteille: +2,6% TMCA entre 2000 et 2017 vs +1,8%). 

On assiste aujourd’hui à une remise en cause des grands équilibres de la région. Auparavant, les vignerons commercialisaient 1/3 des bouteilles pour avoir un pouvoir de force dans les négociations avec les maisons (théorisé par le SGV). Aujourd’hui, cet équilibre est chamboulé puisque la part de marché des vignerons est en chute libre (-25%).

Débat

Des craintes…

Après cette introduction, Maxime Toubart du Syndicat Général des Vignerons a tout de suite mis le doigt sur le réel enjeu des prochaines années. Les maisons de champagne manquent de raisin pour atteindre leurs objectifs de croissance et satisfaire la forte demande à l’export. Cela conduit à une forte augmentation des prix du kg de raisin et a pour conséquence de dissuader les vignerons de produire du vin. C’est un danger car le SGV a peur que si la tendance se confirme, les maisons de champagne aient un jour suffisamment de pouvoir pour pouvoir dire « à partir de maintenant, nous n’achèterons plus 6€/kg mais 4€/kg ». Il prend pour exemple l’industrie du lait dans laquelle le prix des produits transformés est décorellé du prix du lait et les producteurs subissent les prix d’achat de leur lait.

Michel Drappier ajoute que lors des dernières vendanges, le prix moyen du kg de raisin a augmenté de 6% alors que le prix moyen des bouteilles n’a augmenté que de 2%. Le coupable est tout désigné, il s’agit de LVMH. Il est vrai que Moët Hennessy a de fortes ambitions de croissance, des contraintes d’approvisionnement et affiche ouvertement une volonté de faire augmenter le prix moyen de la bouteille de champagne.

L’autre sujet de préoccupation est – comme le disait Martin Cubertafond en introduction – l’augmentation du prix du foncier et les droits de successions. Il y a 35 000 hectares en champagne, 120 sont vendus chaque année et 1200 sont transmis lors de successions. Ce sont les prix des 120 hectares vendus qui fixent la valeur des parcelles sur laquelle se fonde le calcul des droits de succession. Michel Drappier attaque assez vigoureusement la politique fiscale menée par les gouvernements successifs en avançant que les très importants droits de successions conduisent des héritiers à vendre leurs vignes aux grandes maisons qui pratiquent elle l’optimisation fiscale voire la défiscalisation… C’est une des explications du retour en force du grand négoce.

Quel avenir ?

Après ces notes assez pessimistes, les invités ont échangé sur les autres lignes directrices pour la champagne de demain. Martin Cubertafond a expliqué qu’il prédisait une augmentation du poids des grower champagne, cette génération de vignerons qui ontsuivi les traces d’Anselme Selosse (Je pense auChampagne Laval, Ulysse Collin, Chartogne Taillet, Lahèrtes Frères, Cédric Bouchard etc). Cette catégorie de vignerons ne représente aujourd’hui qu’1,5 à 2% des volumes mais est amené à grossir dans la cadre de la tendance de fond de premiumisation qui est à l’oeuvre.

Maxime Toubart a expliqué que le SGV mettait toute son énergie à pousser les vignerons à continuer à produire eux-mêmes du champagne. Pour cela, le SGV accompagne les vignerons à l’export et pour la première fois depuis très longtemps, une campagne de communication a été mise en place pour toucher de nouveaux consommateurs et changer l’image du champagne. En acceptant une contribution à hauteur de 2cts du prix du kg de raisin, 6M d’€ ont été récoltés pour cette campagne.

https://www.youtube.com/watch?v=S9dbGoSe7CI
https://www.instagram.com/p/BpHe3VFh0xn/

Bertrand Gautherot explique qu’il est quant à lui dans une logique d’accompagnement de vignerons qui sont passés par son domaine ou épousent ses valeurs. Il a également créé une activité de négoce, il achète du raisin bio à 9€/kg à des vignerons qui obéissent à un cahier des charges très contraignant. 

Questions-réponses

Interrogé sur son avis sur les champenois qui s’aventurent dans d’autres pays pour y produire des vins mousseux (les sparkling), Michel Drappier explique que si il trouve intéressant que les maisons exportent le savoir-faire champenois à l’étranger et produisent des vins mousseux de qualité, il est en revanche résolument opposé à la pratique qui consiste à jouer sur l’utilisation de noms français et liés à l’histoire du champagne car c’est une marque très puissante qui est un patrimoine commun, on ne peut pas l’utiliser sur du mousseux, cela le dévalorise. 

Interrogé sur la croissance de la surface plantéeMaxime Toubart explique qu’une révision de l’aire d’appellation est en cours (depuis 2003), que 40 à 45 nouvelles communes pourraient prétendre à l’appellation et que des études des parcelles sont en cours. Il refuse toutefois à ce stade de s’avancer sur le nombre d’hectares qui pourraient venir s’ajouter à l’aire d’AOC telle qu’elle est définie actuellement.

Dégustation

Les vignerons nous ont fait le cadeau d’apporter chacun une cuvée qu’ils ont fait déguster à l’assistance. 

Michel Drappier avait apporté la Grande Sendrée 2008. La Grande Sendrée est sa cuvée de prestige et tire son nom d’une parcelle qui fut recouverte de cendres lors d’un incendie qui ravagea Urville en 1838.

Débourbage naturel, dose minimale de souffre, fermentation malo-lactique complète et naturelle, pas de filtration, 35% des vins élevés en foudre pendant 9 mois, vieillissement de 7 ans sur lattes, remuage à la main : autant de choix de vinifications exigeants pour produire cette cuvée qui n’a rien à envier à bien des cuvées de prestige de grandes maisons.  Charline Drappier m’a d’ailleurs expliqué que 15 hectares du domaine étaient à présent cultivés en bio, dont la parcelle de la Grande Sendrée.

Le millésime 2008 est absolument magnifique, il a un potentiel de garde exceptionnel mais il est très difficile d’y résister aujourd’hui tant il est source de plaisir !

55% pinot noir, 45 chardonnay. Dégorgée en avril 2018.

Le nez est très complexe et expressif, sur des notes finement toastées, sur la pâte de coing, la cire d’abeille, le miel. L’attaque en bouche est tonique mais la texture est crémeuse, l’effervescence douce. Bel équilibre, très grande persistance aromatique. J’apprécie énormément cette cuvée !

100% Pinot noir. Brut Nature. Je n’ai malheureusement pas pu échanger avec Bertrand Gautherot pour en savoir plus sur ses choix de viticulture, de vinification et d’élevage !

Moins gourmand que la Grande Sendrée. Au nez, des notes de fruits secs, en bouche, une très belle trame d’acidité, cette sensation calcaire (pierre humide, silex) transmise par le sol kimméridgien. La finale est salivante et c’est long en bouche, on en redemande !

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