Après Cahors, je poursuis ma découverte du sud-ouest avec une petite appellation nichée entre le vignoble de Madiran (dont j’aurai l’occasion de vous parler dans le futur) et les Côtes de Gascogne : l’AOC Saint-Mont. Vous découvrirez l’un de ses plus fiers ambassadeurs, le Château de Sabazan et ses sables fauves et je vous parlerai également du travail poussé de recherche ampélographique mené dans l’appellation.
L’AOC Saint-Mont
L’histoire a débuté en 1050 avec la fondation par les moines bénédictins du monastère de Saint-Mont. L’histoire récente débute quant à elle en 1957 avec la création du syndicat des Côtes de Saint Mont, l’année 1981 a marqué la reconnaissance d’une appellation d’origine vin délimité de qualité supérieure (VDQS) et c’est beaucoup plus récemment, en 2011 qu’une AOP Saint-Mont a vu le jour.
L’appellation Saint-Mont est portée par la coopération, la grande majorité des 200 vignerons de l’appellation (1200ha) travaillent avec la cave cooperative (98% des bouteilles de l’AOC sont produites par la cave de Saint-Mont !), une équipe technique est là pour les accompagner avec des techniciens viticoles qui accompagnent les vignerons dans un objectif qualitatif, en faisant reculer les rendements (vendange en vert), en faisant un suivi des maturités poussé pour arriver à faire des lots de vinification avec des parcellaires similaires. Le lien décisionnel est le CA de la cave composé de 25 vignerons qui échangent quasi quotidiennement.
Le terroir et les cépages de Saint-Mont
L’AOP Saint-Mont se trouve sur les premiers coteaux du Piémont pyrénéen, elle bénéficie d’une météo très favorable en fin d’été / début d’automne sous l’action d’un vent venu du sud qui permet aux raisins de parvenir à une maturité optimale dans les meilleures conditions. On trouve 3 terroirs sur l’appellation :
- Des sables fauves (zone d’Aignan), une formation marine du Tertiaire
- De la molasse sur laquelle se sont développés des sols argilo-calcaires (zone de Plaisance du Gers)
- Des argiles compactes et bigarrées (zone de Saint-Mont)
Le Tannat est le cépage rouge principal, avec le Pinenc (Fer Servadou), le Cabernet Franc et le Cabernet Sauvignon. Les cépages blancs sont le Gros Manseng, le Petit Courbu et l’Arrufiac. La recherche ampélographique est intense dans la région, comme vous le découvrirez plus bas dans cet article !
Quels engagements environnementaux ?
HVE
La cave de Plaimont a fixé un objectif 100% HVE d’ici à 2022 et la démarche fortement engagée pour l’AOC Saint Mont. Cela passe par un accompagnement renforcé des des vignerons pour voir où sont les points d’amélioration et comment les accompagner pour faire mieux. Ceux qui ne joueront pas le jeu seront vraiment perdant financièrement s’ils ne le font. A fin 2020, la moitié de la surface est engagée dans cette certification.
Viticulture biologique
Une dynamique de conversion vers le bio a été engagée en 2009, une partie de l’AOC est donc déjà conduite en bio avec des vignerons qui sont très engagés (et même des vignerons qui travaillent en biodynamie), c’est un groupe pilote pour la coopérative qui s’appuie sur eux pour aller plus loin dans la réflexion, cela sert d’exemple pour ceux qui travaillent encore en viticulture raisonnée.
Aujourd’hui, 40ha sont certifiés bio, l’objectif est d’arriver à plusieurs centaines d’hectares. Les vins sont valorisés au travers d’une gamme de vins bio. Là encore, l’accompagnement financier de la part de la coopérative est important (pour couvrir les risques vis à vis des maladies, de la réduction de rendement). La cave offre +40% de rémunération par rapport à ceux qui ne sont pas en bio, plus des aides financières pour aller dans cette démarche, un accompagnent administratif et un accompagnement technique. Des journées de formation sont organisées pour sensibiliser les vignerons (3 journées pour se faire une idée du bio avec différents interlocuteurs). C’est à ces dispositifs que l’on voit la force motrice que peut avoir une cave coopérative !
Le Château de Sabazan
J’ai pu entrer dans cette appellation de façon luxueuse puisque l’on m’a offert la possibilité de déguster trois millésimes d’un vin élaboré par le même vinificateur depuis 34 ans sur un grand terroir.
L’originalité de Sabazan est que les terres et le chateau ont été rachetés par Plaimont en 1987 et depuis le premier jour, c’est la même personne qui a été en charge de la vinification (Patrick Ascué, âgé de 30 ans à l’époque) donc tous les millésimes ont été vinifiés par la même personne qui n’a jamais suivi les modes de vinification qui se sont succédées.
La vinification au château de Sabazan
La vendange est manuelle, la vinification se fait en cuve traditionnelle par micro-terroirs et cépages assemblés, la macération est longue puisqu’elle dure plus d’un mois avec une extraction douce. Une fois la fermentation malolactique effectuée en cuve, les vins issus de chaque terroir rejoignent des fûts de chêne (renouvelés par tiers chaque année) pour un élevage de 11 à 14 mois. Les meilleures parcelles sont ensuite assemblées pour créer le grand vin du château de Sabazan et cet assemblage passe ensuite 6 à 10 mois en cuve avant d’être mis en bouteille et ce n’est qu’un an plus tard que le millésime sera mis sur le marché ! 10 à 20% des vins sont mis de côté pour être proposés plus tard aux amateurs, une politique qui mérite d’être saluée tant le monde des vins matures est fascinant !
On trouve dans l’encépagement de Sabazan une dominante de Tannat, puis du cabernet-sauvignon, du cabernet-franc (vignes plantées en 1975) et du Pinenc.
L’encépagement évolue légèrement mais lentement car on essaie de conserver au maximum les vieilles vignes, pour une raison simple : le sol de Sabazan est constitué de sables faune (une grosse couche d’argile très en profondeur, et du sable faune sur 2m d’épaisseur). Si on mettait que des jeunes vignes, les racines ne puiseraient que dans le sable et dès qu’il fait sec, la vigne n’a plus de quoi s’alimenter. La vieille vigne a son enracinement qui va très profond dans l’argile.
Château de Sabazan 2016
84% Tannat, 10% Cabernet Sauvignon, 6% Cabernet Franc
La robe a encore des reflets violacés. Le nez s’ouvre sur des fruits noirs, un côté un peu confituré et on sent d’emblée que l’on est face à un vin puissant, qui en impose. En bouche, il est dense et épais avec une structure tannique imposante. C’est un colosse qu’il est intéressant de voir éclore dans le verre, la légère astringence s’estompant, et sa belle persistance aromatique étant très engageante pour le futur !
Château de Sabazan 1999
91% Tannat, 5% Cabernet Franc, 4% Cabernet Sauvignon
Le nez montre déjà une belle évolution, on est dans les bois, avec des notes de humus, une touche fumée, c’est très charmeur. La bouche est en totale cohérence, on a une texture moins épaisse que le vin précédent avec toujours une belle structure mais qui s’est assagie et une légère pointe d’acidité en fin de bouche qui porte le vin qui s’imprime dans les joues avec des notes épicées en rétro-olfaction. Des notes d’évolution, une empreinte minérale, quel bel équilibre !
Château de Sabazan 1989
72% Tannat, 20% Cabernet Franc, 8% Pinenc
Le disque est évidemment brun mais quelle tenue de la couleur ! Au nez, il est plus timide que 1999, il semble paradoxalement moins évolué, on a toutefois des notes de cuir, un côté légèrement bonbon au caramel. En bouche, le vin est plus fluide et là on est face à un vin qui a complètement absorbé sa structure tannique, c’est la sérénité. La longueur n’est pas aussi grande que les deux vins précédents.
Il y a une fraicheur et une élégance inhérentes au terroir de Sabazan que l’on retrouve dans ces 3 grands millésimes de garde !
La recherche ampélographique à Saint-Mont
J’ai profité d’un échange avec Nadine Raymond, directrice de la cave de Saint-Mont et anciennement chargée de la recherche ampélographique chez Plaimont pour l’interroger sur les dernières avancées concernant l’étude des cépages dans le sud-ouest qui est renommé pour sa culture de cépages autochtones, le Piémont pyrénéen étant le berceau de la plupart des cépages mondiaux.
La création d’un conservatoire
Sur l’AOC Saint-Mont, on ne cultive que des cépages pyrénéens et au sein de la coopérative, il y a des gens qui se sont fortement mobilisés sur le sujet de la préservation des cépages. On peut notamment citer un technicien qui il y a 40 ans déjà avait essayé de protéger des parcelles très anciennes (certaines d’entre elles ayant été plantées avant le phylloxera ! et 1920, 1930 pour d’autres). Et c’est dans ces parcelles que l’on parvient à retrouver des pieds. Pendant 3/4 campagnes, on a fait des prospection avec des ampélographes en essayant d’identifier les pieds. Parfois on n’y arrive pas, on prélève un échantillon et on fait une analyse ADN. Parfois ils n’ont jamais été analysés et ce sont des cépages inconnus.
Cette démarche a conduit à la création en 2002 d’un conservatoire de cépages qui est aujourd’hui le plus grand conservatoire privé de France, comptant 37 cépages (17 blancs, 19 noirs et 1 rosé) – dont une lambrusque véritable, un mutant de Fer Servadou. 12 de ces cépages sont originaux, inconnus précédemment.
L’étude des cépages anciens
En parallèle, pendant plusieurs année, des travaux ont été menés pour observer l’ensemble des cépages retrouvés dans les vieilles parcelles afin de savoir s’ils sont intéressants ou pas dans une optique de culture, ce qui n’est pas le but du conservatoire. Certains ont vite été écartés, par exemple des cépages qui sont pourris au mois d’août. Sur les cépages les plus intéressants, on essaie de comprendre pourquoi ils ont été abandonnés et de voir s’ils correspondent aux besoins du moment.
On a par exemple relancé le Manseng noir sur la Gascogne. Génétiquement, c’est un cousin du Tannat mais il produit moins de sucre et offre moins de rendement. Après la crise du phylloxera, il fallait du volume et on avait besoin de plus de teneur en sucre. Les besoins changent, le réchauffement climatique est passé par là, les marché demandent moins d’alcool et on cherche des rendements plus faibles pour produire des vins plus concentrés. On avait retrouvé 1 pied dans le vignoble en 2000 grâce auquel 20 pieds ont pu être introduits dans le conservatoire en 2002. 30 hectares sont plantés en Manseng noir aujourd’hui.
Autre exemple, sur l’appellation Saint Mont, on a relancé le Tardif. Il porte bien son nom, on suppose qu’avant il murissait trop tard mais aujourd’hui, du fait des pratiques culturales, du changement climatique, on le récolte plus ou moins comme un cabernet sauvignon : tard mais dans une période acceptable. Son cycle végétatif est long, c’était un handicap hier, ce sera sa force demain. On avait trouvé deux pieds dans la parcelle inscrite aux monuments historiques (voir encadré ci-après). Il n’est pas résistant (c’est un vinifera), mais n’a pas de fragilité particulière et offre des rendements modérés (40/50h/ha de moyenne). En dégustation, il surprend et séduit par un côté très poivré qu’on ne retrouve pas dans le panel de cépages aujourd’hui cultivés. En 2020, on a effectué la première récolte d’une parcelle d’un demi hectare. Cette année, on devrait planter plus de 2ha de tardif. Les équipes ont bataillé avec l’INAO mais ce cépage a intégré le cahier des charges à la condition de continuer à l’étudier. Dans les conservatoires, il se porte très bien mais il faut encore étudier les pratiques culturales qui lui conviennent le mieux, déterminer sur quels sols il donne le meilleur de lui-même.
Un dernier exemple ? Le conservatoire de Lambrusque. Vitis vinifera subsp. sylvestris, la mère de tous les cépages, le taxon sauvage à partir duquel l’homme a sélectionné au fil des siècles les nombreux cépages qui composent le taxon cultivé (Vitis vinifera ssp. sativa) du vitis vinifera. C’est une plante rare et menacée en Europe. On avait trouvé un pied dans la zone, au milieu de la forêt. Puis en continuant à chercher, on en a trouvé une autre, puis deux puis trois et aujourd’hui on en a identifiés une trentaine, toutes au milieu de la forêt. Les spécialistes ont récupéré des bois en haut des arbres, en ont fait quelques pieds et on ainsi pu rassembler une trentaines de pieds de Lambrusque différents. Il y a des mâles (qui ne produisent pas) et des femelles (qui produisent de petites grappes). L’intérêt est purement historique, l’objectif est de les conserver, on en tirera rien.
Une vigne inscrite aux Monuments Historiques
Pour la première fois en 2012, du matériel végétal a été inscrit aux Monuments historiques, reconnaissance d’un caractère exceptionnel et gage de protection pour l’avenir. Nous sommes à Sarragachies, la parcelle de 20 ares est collée à une ferme et pas moins de 21 cépages différents dont 7 inconnus à l’époque de l’inscription aux MH se côtoient sur 12 rangs. L’âge estimé de la parcelle est d’au moins 150 ans, les sols très sableux et profonds ayant rendu impossible la propagation du phylloxéra et la famille ayant décidé de ne pas l’arracher lors des campagnes d’arrachage subventionné des vignes. « La grand-mère de ma grand-mère l’avait toujours connue vieille », a ainsi dit René Pedebernade, 87 ans en 2012. Vertigineux !
Passionnant, n’est-ce pas ? Si certaines régions misent sur les cépages résistants obtenus par croisement, d’autres comme le sud-ouest revisitent la grande histoire de la culture du vin pour tenter de trouver des cépages adaptés aux conditions de culture actuelles et aux goûts des consommateurs d’aujourd’hui !