Anselme Selosse est la personne qui m’a vraiment fait tomber amoureux du champagne, m’a donné l’envie d’explorer les terroirs si divers de cette région et de découvrir toute une nouvelle génération de vignerons qu’il a inspiré avec sa philosophie et ses méthodes de vinification. J’avais d’ailleurs fait le récit de cette rencontre dans le premier article de ce blog.
Toute occasion de revoir M. Selosse est donc immanquable pour moi et lorsque j’ai appris qu’il avait répondu favorablement à l’invitation de l’association œnologique de mon (ex)université, je me suis précipité et c’est dans le désormais traditionnel écrin de Grains Nobles que nous nous sommes retrouvés autour de M. Selosse pour un échange et une dégustation de pas moins de 7 cuvées.
Anselme Selosse commence par évoquer brièvement l’histoire du domaine : en 1964, ses parents effectuent leur première vinification. Dix ans plus tard, Anselme fait son arrivée au domaine et va alors entamer un tâtonnement autour des méthodes de culture de la vigne et de vinification. Cette remise en question permanente va l’accompagner tout au long de sa carrière : de 1990 à 1996, les principes de l’agrobiologie seront appliqués puis à partir de 1996 cela sera autour de la biodynamie qui sera abandonnée en 2003 car il ne la comprenait pas.
Pour expliquer sa philosophie à la vigne, il prend l’exemple du cueilleur : la forêt est le plus bel écosystème, on ne l’exploite pas, on vient simplement cueillir, prélever ce qu’elle offre.
Primum non nocere. En premier ne pas nuire. Le serment d’Hippocrate. C’est l’homme qui apporte le plus de perturbations à la nature, il faut donc s’astreindre à intervenir le moins possible. Il n’utilise par exemple jamais l’Azote dans les vignes car cela augmente la production mais fait proliférer les champignons de manière anormale, ce qui a d’importantes conséquences sur les flux de matière dans les sols et par extension le biotope dans son ensemble.
Dégustation
Nous commençons la dégustation par une horizontale : trois vins qui sont un assemblage de trois millésimes – 2010, 2009 et 2008.
Initial
Les raisins utilisés pour produire la cuvée Initial proviennent de parcelles situées en pieds de coteaux avec une pente inférieure à 15%, la pluie ne ruisselle plus, l’argile se concentre et rend la terre plus fertile, ce qui a pour conséquence directe des rendements plus élevés.
Le vin est dosé à 1,3g/l, Anselme Selosse parle du dosage comme de « l’art d’assaisonner » et c’est une formule qui me plait particulièrement.
Au nez, la marque oxydative du domaine est présente, et le vin est large en attaque de bouche, Anselme Selosse explique que pour lui ce vin se rapproche des climats des Charmes et des Amoureuses en Bourgogne. Il nous explique travailler ses vins pour la bouche avant tout : le goût, la texture. Ici la fin de bouche est asséchante, sur la craie. Le sous-sol est un calcaire qui vient du tertiaire, très compact (Crétacé). Il s’agit d’un calcaire organique (planctons) qui a donc conservé du sodium, du calcium, de l’iode quand la mer s’est retirée. Il n’est donc pas étonnant que le vin laisse en disparaissant une sensation salée.
Version Originale
« Le son de la craie », on ressent le crissement de la craie sur les dents, c’est fascinant.
Le nez est assez similaire à Initial mais en bouche le vin est plus dynamique, il y a un côté scintillant dans le vin, beaucoup de fraicheur et toujours cette salinité, ce côté asséchant de la craie en fin de bouche. Anselme Selosse précise que les vignes exposées est sont plantées en chardonnay et les vignes exposées sud sont plantées en pinot noir.
Lieux-dit « Les Carelles » du Mesnil-sur-Oger
Cette cuvée est élaborée à partir de raisins provenant d’une parcelle très pentue exposée sud. Le soleil arrive à 45°C, l’incidence du soleil est donc la même que si l’on était au niveau de l’équateur. En conséquences, les raisins ont une peau beaucoup plus épaisse. Ce vin est caractérisé par des notes brulées au nez qui se transforment en notes de torréfaction en bouche. C’est un marqueur qui s’est imprimé et qui me permettrait – je pense – de reconnaitre ce vin à l’aveugle ! Une belle trame minérale mais plus serrée, plus astringente que les vins précédents.
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Nous poursuivons la dégustation avec une verticale de trois millésimes : 2005, 2003, 2002. La cuvée millésimée de Selosse est produite en quantité limitée et est très recherchée, c’était donc un réel privilège de pouvoir en déguster trois côte à côte ! 2 parcelles sont isolées pour l’élaboration de la cuvée millésimée composée à 50% de chardonnay et 50% de pinot noir. Le seul élément différenciant ceteris paribus est donc le millésime !
2005
Le millésime 2005 est le plus jeune des trois dégustés mais c’est aussi le plus « ridé », la peau a eu des stigmates. C’est un vin très salé, sec, avec peu d’acidité et peu de bulles. C’est un vin qui a de la présence, de la profondeur, de l’intensité mais pas de force. Anselme Selosse le décrit comme un vin bourgeois, caustique et son jugement est sans appel et sans langue de bois : « j’ai vinifié un vin que je ne trouve pas bon ». Je ne suis pas aussi définitif que lui, c’est un vin singulier.
2003
C’est la deuxième fois que je dégustait ce millésime 2003 qui est le témoin d’une année à la météo catastrophique. 80% de la récolte a été perdue suite à des gelées et la sécheresse a frappé la région de mai à aout. En conséquence, peu d’eau, une sève très concentrée, la racines transpiraient beaucoup et tout cela se retrouvait dans 1/5 des raisins habituellement présents sur les pieds de vigne. C’est donc un vin très sec, on a l’impression de manger du pollen. J’ai moins ressenti la sensation de « mordre dans la craie » qu’il y a 3 ans, le vin m’a globalement moins plu mais il reste un formidable témoin de cette année de tous les excès.
2002
Coup de cœur de cette verticale pour «l’enfant bien né » pour qui tout s’est bien passé lors du cycle végétatif. Des notes d’évolution, de rancio commencent à arriver. La couleur est plus soutenue, il y a des notes de caramel. L’équilibre est incroyable car si on peut redouter que cette richesse aromatique s’accompagne d’une certaine lourdeur, un coup de fouet d’énergie arrive en milieu de bouche. La texture et la matière en bouche sont superbes et la longueur est infinie.
Substance
Nous terminons la dégustation avec la magnifique cuvée Substance. Un vin élaboré à partir de vins de 1986 à 2008 assemblés selon le principe de la Soléra. Le but recherché par Anselme Selosse est de faire un anti-millésime. En assemblant les vins issus de 20 millésimes, il cherche à gommer l’effet climat et se focaliser sur le lieu de naissance, transmettre les caractéristiques du terroir et de lui-seul.
C’est un vin d’une complexité inouïe au nez, l’attaque en bouche est dynamique avec une effervescence légère qui accompagne le parcours du vin en bouche (M. Selosse explique que pour lui la bulle est un accessoire, il fait un vin avant tout). Le vin est très homogène et équilibré sur toute la longueur en bouche. On touche le sublime.
Quelle dégustation !
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