Je souhaitais inaugurer ce blog par le récit de la plus belle expérience œnologique que j’ai pu vivre jusqu’à présent: ma rencontre avec Anselme Selosse à son domaine à Avize sur la Côte des Blancs en Champagne. J’espère ainsi vous donner envie de laisser de côté les grandes maisons (bien que tout ne soit pas inintéressant, loin de là) et de partir à la découverte de tous ces vignerons qui comme Anselme Selosse effectuent un travail remarquable et sont l’âme de la Champagne, pratiquant une viticulture raisonnée et durable. Bonne lecture !
—
Nous avons été reçus par Mr Selosse dans l’hôtel qu’il a ouvert avec sa femme en 2011 dans une demeure Néo-classique rénovée et dont la décoration est en total accord avec l’esprit à la fois de la bâtisse et du travail d’Anselme: harmonie, essence, design épuré, chaque élément ayant été choisi avec soin. Étant légèrement en avance, nous avons été installés en terrasse et avons pu profiter des derniers rayons du soleil, de quoi nous mettre dans de très bonnes dispositions !
Nous commençons par une visite du chai où devant notre surprise face au son de turbines, Anselme nous explique que la température est différente aux deux extrémités du chai et qu’il fait varier la température artificiellement pour reproduire les variations de température que peuvent connaître les vignes, pour que le vin vive. Chez les grandes maisons, la température des anciennes crayères stable toute l’année est présentée comme un facteur essentiel pour le développement d’un grand vin: c’est une première certitude qui tombe !
La philosophie
Bien loin des directeurs marketing et représentants des grandes maisons à qui l’on a affaire lorsque l’on est reçu dans les grandes maisons de champagne, Anselme Selosse est quelqu’un de très simple, décrivant son travail comme étant “celui d’un paysan, capturant les spécificités indigènes du pays et en préservant le paysage”. Ces quelques mots extraits de sa réponse à ma prise de contact avec lui quelques semaines avant la rencontre n’ont fait qu’accentuer mon désir de le rencontrer et d’échanger avec lui. En effet, j’aime le vin comme expression d’un terroir mais le Champagne est tellement entouré de Marketing qu’il tend souvent à en perdre son essence à mes yeux.
A l’heure des certifications bio et autres labels, Anselme Selosse se refuse à participer à cette course, à être enfermé dans une boîte sur laquelle on apposerait une étiquette. La philosophie selon laquelle il opère est bien plus profonde et trouve ses racines dans la pensée du philosophe agronome Masanobu Fukuoka. L’homme se doit d’être un serviteur de la nature, il s’agit d’intégrer la vigne, être contemplatif et respecter le caractère aléatoire de la vigne (ce qui se rapproche, somme toute, de l’attitude des moines d’antan). L’homme ne doit pas coloniser la terre et en bouleverser les équilibres.
On décrit souvent le travail du vigneron après la récolte comme étant celui d’un artiste qui va créer une oeuvre d’art, idée que véhiculent les grandes maisons pour perpétuer une certaine forme de mythe qui entoure le champagne et le chef de cave. Mr Selosse se place donc dans une démarche différente: il s’agit d’accompagner le vin, de le laisser vivre, se développer à son rythme et faire en sorte que s’expriment au mieux les particularités des terroirs, du biotope et de l’écosystème.
.La visite se poursuit, Anselme parle beaucoup mais nous buvons ses paroles. C’est un moment hors du temps, assez irréel pendant lequel Anselme élabore sur sa philosophie et ses convictions. Il est très attaché au sens des mots, à l’étymologie (il passe d’ailleurs beaucoup de temps sur l’étymologie du mot « sève » : saveur, savoir, sapidité) et sa pédagogie pour expliquer des étapes complexes de la croissance de la vigne et de la vinification est incroyable tant tout parait clair. Il nous explique l’importance des racines qui font le lien entre le raisin et la terre sur laquelle la vigne pousse, il décrit le rôle clé des sels minéraux (que les micro-organismes solubilisent et mettent à la disposition des racines de la plante et donc par prolongement des raisins), de l’ensoleillement, de l’exposition, du degré de pente: autant d’éléments qui expliquent le caractère d’un champagne, caractère qui ne varie pas là où sa personnalité évolue selon les millésimes.
..L’influence de sa formation bourguignonne
Anselme a été formé à Beaune en Bourgogne, et cela se ressent, notamment dans le procédé d’élaboration du vin. La fermentation a lieu en barriques dont 10% sont neuves, et surtout, il a recours à la technique du batonnage qui consiste à remuer les lies présentes au fond des barriques pour les remettre au suspension. C’est une des raisons pour lesquelles le gras, la densité que l’on ressent en bouche lorsque l’on déguste un champagne Selosse n’est pas sans rappeler certains vins de Meursault ou Puligny-Montrachet par exemple. La « philosophie » bourguignonne se retrouve également dans le choix d’Anselme Selosse d’élaborer des cuvées parcellaires: il est facile de faire le parallèle avec les climats de Bourgogne, les clos, les parcelles morcelées.
Parmi les autres caractéristiques des méthodes employées par Selosse, on trouve la faible chaptalisation, et la récolte des raisins à pleine maturité.
Anselme Selosse créé des vins très différents les uns des autres, avec la notion clé de terroir comme point central.
Avec la cuvée Substance, il s’agir de faire une moyenne climatique de 21 vendanges en cherchant à gommer les effets du climat afin de mettre en évidence le terroir et le terroir seul. C’est l’anti-millésime. Pour ce faire, il utilise le procédé de vinification appelé Solera. Je ne me risquerai pas à détailler ici ce processus dont je ne connais pas suffisamment les détails, mais lorsque l’on déguste Substance, on déguste un assemblage de vins de deux parcelles d’Avize de toutes les années depuis la création de la Solera, 1986 dans ce cas.
La collection Lieux-Dits quant à elle propose un voyage à travers la Champagne afin de saisir l’essence de différents villages classés Grand Crus: Mesnil sur Oger, Avize, Cramant (pour le Chardonnay), Ay, Ambonnay et le Mareuil-sur-Ay (pour le Pinot Noir). Afin d’obtenir ce résultat, Anselme Selosse travaille selon le principe Ceteris paribus: toutes choses étant égales par ailleurs (millésime, vinification, élevage), la seule variable est le lieu de provenance des raisins.
Dégustation
Nous avons dégusté ensemble 4 cuvées:
– Jacques Selosse 2003, dosage 1,3g/l, la sécheresse et la dureté de 2003 qui a été l’année de la canicule se retrouvent instantanément dans ce vin qui est caractérisé par une faible acidité et une astringence calcaire.
– Substance, Soléra de tous les millésimes entre 1986 et 2006 (4,5% de 2006 par exemple) très certainement le vin qui marque le plus tant on tombe dans un puits de complexité, comme si s’ouvrait à nous tout le savoir accumulé en 30 ans. On perçoit des notes oxydatives assez présentes mais sans que cela soit un défaut. Comme pour les autres champagnes dégustés, beaucoup de matière et un beau perlage de bulles d’une finesse incroyable.
– Lieux-dit Les Carelles du Mesnil-sur-Oger, Grand Cru, Extrat Brut, dosage 1,3g/l, base 2006 avec mini-soléra. La vinosité et l’onctuosité d’un grand bourgogne avec à la fois une matière dense et une effervescence discrète et délicate qui fait danser le champagne en bouche. Très pur, avec une longueur infinie.
– Exquise, demi-sec, dosage 24g/l: ici, le choix du dosage est lié à la situation géographique de la parcelle située en bas de coteaux à Oger. J’ai beau ne pas du tout aimer les champagnes dosés en général, j’ai trouvé cette cuvée équilibrée et intéressante.
Quelques mots de conclusion
Alors que la discussion apéritive arrive à son terme, Anselme Selosse évoque la transmission du domaine familial qui s’est amorcée depuis juin 2012, date à laquelle son fils Guillaume est revenu diplômé. Encore une fois, la philosophie d’Anselme le pousse à vouloir prendre le temps qu’il faudra et il évoque la métaphore du relais pour illustrer cette transmission: alors que lui est en pleine vitesse, il doit passer le témoin avant qu’il ne soit sur le déclin, mais il doit accompagner son successeur qui est en train de s’élancer jusqu’à ce qu’il ait atteint sa pleine vitesse à son tour pour que le passage du témoin soit optimal, ce témoin étant en quelque sorte la mémoire de ceux qui l’ont précédé.
Anselme Selosse a inspiré toute une génération de vignerons. Les 57 000 bouteilles qu’il produit en moyenne chaque année s’arrachent aux quatre coins du monde, atteignant chez les cavistes des prix élévés (même si ils restent raisonnable si l’on compare avec les prix pratiqués par les domaines les plus renommés des autres grandes régions viticoles, le Domaine de la Romanée Conti en Bourgogne ou Chateau Pétrus dans le Bordelais par exemple). Pour se fournir au domaine, il faut être très chanceux lors de sa visite ou faire partie des heureux élus qui bénéficient d’allocations (si vous êtes un professionnel). Boire un champagne Selosse est donc toujours un moment d’exception et de rareté, et c’est peut être aussi cela la source des sensations exceptionnelles qu’il nous procure.
Merci à Anselme Selosse pour son accueil au domaine, pour le temps qu’il nous a accordé et pour le savoir qu’il nous a transmis !
Hôtel Restaurant Les Avizés
59, rue de Cramant
51190 Avize
Tél (33) 326 577 006
Email : hotel@selosse-lesavises.com
[…] Anselme Selosse est la personne qui m’a vraiment fait tomber amoureux du champagne, m’a donné l’envie d’explorer les terroirs si divers de cette région et de découvrir toute une nouvelle génération de vignerons qu’il a inspiré avec sa philosophie et ses méthodes de vinification. J’avais d’ailleurs fait le récit de cette rencontre dans le premier article de ce blog. […]
[…] Anselme Selosse est la personne qui m’a vraiment fait tomber amoureux du champagne, m’a donné l’envie d’explorer les terroirs si divers de cette région et de découvrir toute une nouvelle génération de vignerons qu’il a inspiré avec sa philosophie et ses méthodes de vinification. J’avais d’ailleurs fait le récit de cette rencontre dans le premier article de ce blog. […]