IWA, le Saké par Richard Geoffroy

Richard Geoffroy est un personnage fascinant. Champenois – son père a dirigé pendant 18 ans le syndicat général des vignerons de Champagne -, il a fait des études de médecine avant de réaliser qu’il voulait lui aussi évoluer dans le monde du vin. Entré chez LVMH, il a fait ses armes chez Chandon avec des missions d’audit avant d’entrer chez Moët & Chandon où il a pendant 28 ans été l’homme qui faisait Dom Pérignon, ayant également à partir de 2005 la responsabilité de l’oenologie de l’intégralité du groupe Moët & Chandon.

Je l’ai rencontré pour la première fois en 2014 ; à force de ténacité, j’avais réussi à profiter de l’un de ses rares passages en France pour l’inviter à venir animer une dégustation au club d’oenologie de Sciences Po et je l’avais suffisamment titillé pour qu’il élabore un programme de dégustation assez vertigineux dont je vous laisse découvrir le compte rendu écrit à l’époque. Il m’avait hypnotisé alors qu’adossé aux pierres d’une cave du quartier latin, sous un éclairage en clair obscur, il avait à grand renfort de métaphores et de poésie dessiné les contours de l’ADN du champagne Dom Pérignon.

Avance rapide, nous sommes en octobre 2022 et Richard Geoffroy est à Paris non pas pour nous parler de Dom Pérignon ou d’un autre champagne mais pour nous présenter sa nouvelle aventure : un Saké.

A l’âge où le commun des mortels aspire à une retraite bien méritée, le chef de cave globe-trotter qui règne sur la marque la plus puissante de la Champagne ressent le besoin de sortir de sa zone de confort. ll annonce en 2018 quitter ses fonctions chez MH, laissant Dom Pérignon entre les mains du successeur qu’il s’était choisi, Vincent Chaperon et il se lance dans une nouvelle aventure loin du monde du vin. Enfin, pas si loin car comme il nous le fait justement remarquer, le Saké est un breuvage issu de la fermentation, comme le vin. Richard Geoffroy a découvert le Japon grâce à Dom Pérignon, « le plus beau cadeau que m’a fait Dom Pérignon, c’est d’être ouvert au monde » glisse-t-il. Il ne s’est pas éternisé lors de ses premiers voyages, soucieux de passer le plus de temps possible avec sa famille mais peu à peu, il s’est pris d’intérêt pour ce pays si différent dans lequel il s’est rendu près de 80 fois pour Dom Pérignon et il a découvert progressivement le monde du Saké.

Né il y a 1200 ans, le Saké appartient culturellement au Japon, son vrai nom est Nihonshu qui signifie littéralement « alcool japonais » mais il est en fort déclin : en 50 ans, la production a diminué de 2/3. La saké a longtemps été une boisson utilisée pour se rincer le palais et c’est sous l’impulsion de personnes extérieures au Japon qu’il a été amené sur le terrain de la gastronomie. Autre particularité, 95% de la production de Saké est consommée au Japon et les meilleurs Saké ne sortent pas du Japon.

Le Saké est également un défi pour l’élaborateur de champagne qu’est Richard Geoffroy. C’est une boisson issue de la fermentation mais avant cela, du brassage. Là où le raisin porte en lui tout ce dont il a besoin pour devenir un vin, le riz a besoin d’intervention, d’un grand nombre de processus pour devenir Saké. Richard Geoffroy avance même que le Saké renferme « le jeu d’options le plus élaboré, le plus étendu qui soit dans le monde de la fermentation.

La vision de Richard Geoffroy pour IWA

Il avait si bien su incarner une vision de Dom Pérignon que l’on n’imaginait pas Richard Geoffroy se lancer dans une nouvelle aventure sans avoir une vision. Avec IWA, il souhaite proposer un saké « vraiment japonais, fièrement japonais », un saké qu’il veut faire rayonner dans le monde (« le futur du Saké est dehors », il se fixe un objectif de 80% de vente à l’export et 20% seulement au Japon) et sur les plus grandes tables en allant convaincre partout dans le monde des chefs qui ne connaissent pas ce breuvage pour leur montrer son potentiel gastronomique. « Il faut un Saké qui embrasse les cultures, la diversité de leurs cuisines » affirme l’ancien chef de cave qui pendant près de 30 ans à travailler avec les plus grands chefs du monde pour élaborer des accords avec les cuvées Dom Pérignon.

©️ Nao Tsuda pour IWA
©️ Nao Tsuda pour IWA
©️ Nao Tsuda pour IWA

Pour son installation au Japon, il n’a pas fait les choses à moitié, investissant – soutenu par des investisseurs, dont Moët Hennessy – près de 20 millions d’euros pour construire une Kura (bâtiment de brassage) de près de 2000m2 conçu par l’architecte Kengo Kumade et rassemblant sous le même toit site de production, lieu de réception et activité hôtelière. Il a choisi d’implanter ce bâtiment sur un site entouré de 10ha de rizières au pied du Mont Tate, l’une des 3 montagnes sacrées du pays. De quoi être pris au sérieux.

©️ Nao Tsuda pour IWA
©️ Nao Tsuda pour IWA

Pour dessiner le contenant, Richard Geoffroy a fait appel à Marc Newson, designer qui a – entre autres – dessiné l’Apple Watch avec Sir Jony Ive (le duo travaille actuellement à la Ferrari du futur, un autre modeste projet !)

Vient enfin le plus important, le contenu. Le Saké s’appelle IWA 5. 5 est le symbole universel de l’harmonie, le symbole de l’union, de la quintessence. Richard Geoffroy a gardé de son ancienne vie son talent pour l’assemblage et a transposé au Saké ce savoir-faire. Assemblage de riz – il utilise 3 variétés de riz – yamadanishiki, omachi, et gohyakumangoku -, assemblage d’origines – il utilise des riz de 4 provenances -, assemblage de levures – il utilise 5 souches de levures. Le riz est poli à 35% (cela signifie que l’on élimine une partie de l’enveloppe extérieure pour conserver le coeur du grain de riz ; ici, 65% de la matière est éliminée, pour comparaison le riz que nous mangeons est poli à 90%). Richard Geoffroy est accompagné par le maître brasseur Masato Yabuta qui mène les différentes opérations de brassage.

©️ Nao Tsuda pour IWA

Chaque élément est brassé séparément et Richard reprend son rôle de chef d’orchestre pour créer l’assemblage le plus complexe et équilibré possible. Pour y parvenir, il dispose d’un dernier élément, des Sakés de réserve. Une fois mis en bouteille, le Saké se repose 1 an avant d’être mis en bouteille. Tiens tiens, encore deux points communs avec le champagne.

La Saké était réputé avoir une durée de vie limitée, il affirme que non seulement ses premiers assemblages #1 et #2 se tiennent parfaitement dans le temps mais qu’une maturation s’opère dans le temps, à tel point qu’il songe déjà à commercialiser à nouveau plus tard ces premiers assemblages. Pourrons-nous demain réaliser des dégustations verticales d’IWA ?

Chaque assemblage est différent et même si les variations ne viendront pas des millésimes mais des paramètres sur lesquels on peut jouer pendant le processing, « IWA se rapproche davantage du champagne millésimé que du non-millésimé » nous dit Richard Geoffroy qui ajoute que son projet est expérimental et le sera toujours.

Le pari est-il réussi ? Le marché est juge de paix et de ce point de vue là, on peut dire que la magie Richard Geoffroy opère : 3 ans après son lancement – sur le marché local pour le premier assemblage, à l’international dès le deuxième -, IWA est présent sur 32 marchés et 40 tables triplement étoilées, dont 10 seulement sont japonaises.

Et ce saké, une fois dans le verre, cela donne quoi ?

Nous dégustons l’assemblage #2 (Richard Geoffroy revenait tout juste des Etats-Unis où il s’était rendu pour la sortie de l’assemblage #3 !).

Richard nous indique qu’il règle les gouts fondamentaux – sucré, acide, salé, amer et umami, l’aromatique en découle mais ce n’est pas son guide. D’aucuns disent qu’IWA est « un Saké de bouche », il ne trouve pas cela péjoratif. Je le rejoins car si dans un vin la palette aromatique est importante, c’est ce qui se passe en bouche, les sensations qui signent pour moi un grand produit.

IWA #2 offre des notes fruitées (poire), florales, un soupçon de poivre blanc avec également une dimension minérale et une facette toastée, rôtie. En bouche, toutes les saveurs se mêlent de façon passionnante : le sucré cède sa place salé, l’acidité équilibre l’amer avec une belle viscosité dans le texture avant que le saké ne s’efface en laissant la sensation d’umami sur la langue, le tout dans une forme de continuum et avec un équilibre d’autant plus remarquable qu’il ne s’agit que du deuxième assemblage de l’histoire de la marque ! C’est la première fois que je prends plaisir à la dégustation d’un Saké, j’avais jusqu’à présent l’impression que mon palais n’était pas encore prêt pour cette boisson. « Le défi du Saké, c’est l’amer » affirme Richard Geoffroy, j’ai beau aimé l’amertume, c’est peut-être l’amertume trop abrupte des sakés que j’avais eu l’opportunité de déguster jusqu’à présent qui me dérangeait. Toujours est-il que j’admirais l’équilibre absolu des saveurs dans les champagnes Dom Pérignon, je retrouve cette équilibre, cette complexité et cette profondeur dans IWA, j’ai hâte de voir la suite de l’aventure !

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