La champagne à l’heure des vendanges

Les vendanges. C’est certainement la première chose qui vient à l’esprit lorsque l’on pense au monde du vin, c’est un marronnier pour les médias, c’est aussi dans certaines régions non-mécanisées un folklore. Mais cela marque surtout pour le vigneron la fin d’une longue campagne dans les vignes pour accompagner le cycle végétatif et un premier soupir de soulagement : ouf la météo n’aura plus de prise sur la vendange, les dés sont jetés.

Et ce soupir aura été particulièrement profond cette année tant les éléments auront fait trembler les vignerons de toutes les régions. J’ai décrit assez longuement le millésime 2019 en Bourgogne dans mon article sur le domaine des Hospices de Beaune, la Champagne aura elle aussi subi les humeurs du climat, révélant une étonnante résistance de la part de la vigne.

J’ai rendu visite cette année au Champagne J. Charpentier installé à Villers-sous-Châtillon dans la Vallée de la Marne et qui exploite 15 hectares de vignes divisés en 60 parcelles réparties sur 16 communes et commercialise environ 150 000 bouteilles par an.

Je vous emmène avec moi dans l’effervescence (oh oh oh, vous l’avez ? ndlr) d’une journée de vendange !

Les vendanges … dans les vignes

Marie-Pierre Charpentier nous a indiqué que les premières grappes ont été coupées dans l’Aube (des Meuniers), puis ce fût le tour des Pinot Noirs et enfin des Chardonnays.

Une partie importante de la récolte a été perdue suite au gel (en particulier en bas de coteau), au millerandage, à l’échaudage (notamment la canicule de juillet).

Lors de ma visite au domaine, les vendangeurs étaient dans une parcelle de Meunier à quelques centaines de mètres du village de Villers-sous-Chatîllon.

Les vendanges … en cuverie

Une fois coupés et mis dans des caisses, les raisins prennent la direction de la cuverie où ils sont pesés (tout est enregistré, cela permet de déterminer les rendements… et de prévenir la fraude !) puis répartis par parcelle avant d’être pressés. Le moût (un système de capteurs va séparer le jus par qualité : à partir de 400kg de raisin, on ne peut récupérer que 25,5hl de moûts, les 20,5 premiers hectolitres sont la cuvée, les 5 suivants sont la taille, tout le reste doit partir en distillerie) est ensuite placé dans des cuves pour la fermentation alcoolique. L’équipe procédera à un débourbage pour séparer le vin de ses lies les plus grossières).

Nous dégustons le jus des Meuniers qui ont été récoltés dans la matinée, il est merveilleusement sucré et aromatique !

Les fermentations démarrent, les débourbages se succèdent en cuverie, et dans une cuve un peu à l’écart, un vin rouge destiné à créer cuvée rosé est en train de naître. Comme vous pouvez le voir à la couleur, nous ne sommes encore qu’a un stade précoce de macération et d’extraction. Au nez, nous sommes sur des arômes de pomme, d’amande, c’est acidulé et sucré.

Si la majorité des vins rejoignent des cuves (photos ci-dessus), une petite partie destinée à des cuvées prestige vont passer dans des fûts de chêne de la maison Seguin-Moreau.

Le processus de fabrication du champagne

Je n’ai jamais fait le traditionnel article « Comment fait-on du champagne » parce que mille autres ont écrit sur ce sujet mais nous avons retracé pas à pas ce processus en nous promenant dans les caves, parcourons le ensemble en image.

La champagne s’est construite sur une logique d’assemblage de cépages, de crus et de millésimes dans le but de créer un « goût maison » et de proposer à leurs consommateurs un champagne qui soit le même – ou du moins suffisamment proche pour que celui-ci retrouve le vin qu’il aime – d’une année sur l’autre. Pour cela, l’atout principal est la constitution d’une bibliothèque de vins de réserve. Les pinot noirs de la vendange de l’année N sont de faible qualité ? On va aller piocher dans les réserves d’un millésime ayant donné de beaux pinot noirs. L’acidité est prégnante ? On va aller piocher dans les vins de réserve issus d’une année solaire. Le vigneron ou le chef de cave va ainsi opérer tel un parfumeur devant un orgue à essences afin de créer ses cuvées.

Chez J. Charpentier, les vins de réserve sont conservés dans des grands foudres de 50hl.



Nous avons dégusté quelques vins de réserve :
Pinot Noir 2018 : au nez des notes d’agrumes, d’ananas, en bouche on a de la structure, de la vinosité, de l’acidité et une longueur remarquable
Meunier 2018 : plus de rondeur, des notes de fruits mûrs, moins de vinosité, moins de tension
Chardonnay 2011 : minéral, une belle fraicheur pour ce vin clair qui commence à avoir de l’âge, des notes fumées, grillées, de la mâche et une belle longueur.

Une fois les assemblages validés, ils sont réalisés dans de grandes cuves d’assemblage et on les embouteille en ajoutant une liqueur de tirage qui contient de nouvelles levures. Ces levures vont s’activer et créer du CO2 qui est à l’origine de la prise de mousse : c’est la deuxième fermentation, la « champagnisation », le vin tranquille devient effervescent. Ce processus prend du temps, le cahier des charges de l’appellation requiert un minium de 12 mois de vieillissement sur latte, la plupart des vignerons et la quasi-totalité des maisons laissent vieillir leurs vins bien plus longtemps. Chez J. Charpentier, le brut sans année est élevé pendant 24 à 30 mois.

Les levures sont mortes, elles se sont transformées en dépôt, il est maintenant temps de les expulser. Pour cela, la légende dit que Madame Clicquot a inventé l’ancêtre du pupitre de remuage et à partir de 1864, des remueurs ont commencé à pratiquer le long et fastidieux travail de quart de tour dans un sens, demi-tour dans l’autre à raison de plusieurs interventions par jour pendant 6 à 8 semaines afin de faire tomber l’intégralité du dépôt dans le goulot. Aujourd’hui, peu de maisons remuent encore les bouteilles à la mains, ou elles ont conservé ce rituel pour les cuvées haut de gamme et les grands formats. La grande majorité des bouteilles sont désormais remuées grâce à une machine, la gyropalette (inventée en 1973), qui travaille seule, sans discontinuer, sans congés payés, RTT ou jours fériés. L’opération ne prend plus qu’une à deux semaines.

Le dépôt est dans le goulot, il faut désormais l’expulser, c’est le dégorgement. Ici encore, il existe une méthode manuelle – un employé dégorge une par une toutes les bouteilles, le travail est fastidieux et la quantité de vin perdu dans l’opération est variable et peut-être importante – et une méthode automatisée – une chaine avec passage du goulot dans un bain de glace et expulsion du glaçon de dépôt ainsi formé. On ajoute la liqueur d’expédition pour faire l’appoint et déterminer le niveau de sucre du vin (non dosé, extra-brut, brut, demi-sec ou sec) et on donne à la bouteille son bouchon définitif.

Le vin va maintenant se reposer pendant quelques mois supplémentaires pour se remettre du choc du dégorgement puis prendra le chemin des caves de particuliers, des cavistes et des restaurateurs !

Dégustation des champagnes J. Charpentier.

Après cette visite, il était temps de déguster une partie de la gamme !



Brut Réserve
Assemblage vendanges 2014 et 2015. 80% Meunier, 20% Pinot Noir. Crus : Reuil, Binson-Orquigny, Châtillon sur Marne, Villers sous Châtillon, Le Breuil, Neuville sur Seine, Ludes. Dosage 7,5g/l.
Au nez, des notes de fruits mûrs, de miel. En bouche, l’attaque est vive, le milieu de bouche est rond. La longueur est moyenne, avec une légère amertume. Un joli BSA bien dans ses bottes ! 16,5€ départ domaine.



Prestige Brut
60% Pinot noir, 20% Meunier, 20% Chardonnay. Crûs : Reuil , Le Breuil, Neuville sur Seine, Verneuil, Châtillon sur Marne, Avenay Val d’Or. 28 à 32 mois de vieillissement en cave. Dosage : 6,5g/l.
Plus vif, nerveux et précis au nez avec des notes de fruits mûrs. En bouche, l’attaque est franche, le milieu de bouche opulent, vineux avec des notes grillées et on a une très belle longueur sur des amers salivants. 18€ départ cave.

Blanc de Blancs
100% Chardonnay. Crus : Le Breuil, Châtillon sur Marne, Verneuil, Avenay Val d’Or. Assemblage de deux ou trois vendanges, 24 mois sur lies. Dosage de 8,5g/l.
On retrouve la pureté du chardonnay, des notes florales mais également de la matière et de la rondeur en bouche. L’équilibre me plait beaucoup. Bonne longueur. 18€ départ cave.



Millésime 2008
45% Meunier, 35% Pinot Noir, 20% Chardonnay. Dosage : 6g/l
Nez sur des arômes de fruits compotés et de brioche. La bouche est ample, puissante, la texture est gourmande, crémeuse. La trame d’acidité est magnifique. La finale est longue et salivante. Le millésime 2008 est décidément grand ! 21€ départ cave.



Cuvée Pierre-Henri
100% Meunier Vieilles Vignes. Crus : Reuil, Châtillon sur Marne. Fermentation alcoolique dans des fûts neufs à 5-6 vins, pas de malo, batonnage et conservation en fûts pendant 10 mois. Le vin est resté 5 ans en fûts de chêne et 5 ans sur lies. Dosage : 4g/l
Puissant avec des arômes toastés, grillés, briochés. En bouche, on retrouve cette puissance avec des notes oxydatives en rétro. La colonne vertébrale du vin est nette et on retrouve une agréable salinité en finale.



Sur un coq au vin préparé par la mère et la grand-mère de Marie-Pierre, nous avons dégusté la Cuvée Comtes de Chenizot.
Crus : Binson-Orquigny, Reuil, Mareuil le Port, Le Breuil. Assemblage des vendanges 2006/2007/2008 avec 1/3 de chaque cépage. Fermentation alcoolique en cuves thermorégulées et assemblage avec des vins de réserve élevés en foudre et fûts de chêne. Dosage de 5,5g/l.
On retrouve ces notes de fruits mûrs mais une grande puissance et plus de fraicheur que dans la Cuvée Pierre-Henri. La texture crémeuse, enveloppante en fait un champagne de repas, les notes d’agrumes donne un coup de peps au plat en sauce.

Merci à Marie-Pierre Charpentier pour son accueil en cette journée de vendanges et pour la découverte de sa gamme !


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