Grand Bourgogne Hôtel : le retour du Bourgogne Aligoté

J’ai présenté dans un précédent article l’événement Grand Bourgogne Hôtel organisé par le BIVB à Paris au début de l’année. L’une de ses plus grandes réussites à été de participer à la réhabilitation d’un cépage qui a piètre réputation en Bourgogne aujourd’hui, l’aligoté.

Pour l’anecdote, j’étais en train de déguster dans la Galerie dégustation libre lorsqu’une jeune journaliste de la Revue du Vin de France, se voyant proposer de déguster la sélection d’aligotés s’est écriée « Oula, non vraiment je m’en passerai, l’aligoté c’est dans le kir et encore ». Un tel comportement n’est hélas pas rare et en plus de démontrer une fermeture d’esprit dommageable lorsque l’on écrit pour le plus grand titre de presse spécialisé français, témoigne d’une vision relativement datée..

Histoire du cépage Aligoté en Bourgogne

 

L’aligoté est un cépage descendant du Pinot Noir (comme le chardonnay) qui était déjà connu au 17ème siècle. Il fut autrefois très planté et dans les appellations les plus prestigieuses : on en trouvait quelques rangs dans le Montrachet et d’aucuns affirment même qu’il était le cépage majoritaire à Corton-Charlemagne !

Après la crise du Phylloxéra qui conduisit à l’arrachage de tous les ceps de vignes, les vignerons qui avaient besoin d’argent ont planté massivement du chardonnay qui offre plus rapidement des vins séduisants et l’aligoté a peu à peu été cantonné à des sols très riches où les raisins murissaient difficilement. Un cercle vicieux s’est mis en route : l’aligoté est devenu le vin du blanc cassis dont il fallait tirer de très haut rendements à coup d’herbicide, de mécanisation.

L’Aligoté représente aujourd’hui 6% de l’encépagement en Bourgogne, soit un peu moins de 1600 hectares et 11,9 millions de bouteilles produites.

Le Saviez-vous ? 
L’aligoté est un cépage très planté en Europe de l’Est (Roumanie, Ukraine, Moldavie, Géorgie, Azerbaïdjan) puisqu’il couvre 20.000 hectares soit plus de la moitié de la surface totale plantée d’aligoté à l’échelle mondiale !

 

L’AOC Bouzeron, les Aligoteurs : le renouveau de l’Aligoté !

 

L’aligoté regagne aujourd’hui ses titres de noblesses et c’est dû en partie à Aubert de Villaine, co-gérant du Domaine de la Romanée-Conti qui a installé en 1971 le domaine A&P De Villaine à Bouzeron où il s’est battu pour faire reconnaître en 1997 une AOC Bouzeron produite à partir du cépage aligoté (c’est le seul village qui peut apposer son nom sur un vin produit à partir d’aligoté). Cette appellation couvre 55 hectares dont la moitié sont exploités par le domaine Chanzy. On trouve à Bouzeron un aligoté doré constitué de grappes de petites baies qui prennent une très belle teinte or lorsqu’elles murissent. Les pieds de vignes sont taillés en gobelet et plantés en plein coteaux (là où l’aligoté est hélas habituellement relégué en plaine)

Sous l’impulsion du restaurateur Philippe Delacourcelle, une poignée de vignerons (Sylvain Pataille, Laurent Fournier, Pablo Chevrot, Jérôme Galeyrand, Nicolas Faure, Anne Morey, Fabienne Nicot et Anima Vinum ) n’ayant jamais accepté le sort qui a été fait à l’aligoté se sont récemment rassemblés dans une association destinée à promouvoir le cépage aligoté : les aligoteurs. De très beaux domaines se sont joints à l’initiative comme vous pouvez le voir sur la page membres de leur site. Ils ont organisé en 2018 un premier salon professionnel.

La clé pour produire de grands bourgogne aligoté est la maitrise des rendements (or c’est le cépage dont on tire les rendements les plus élevés). Pour cela, il faut une taille courte en gobelet (là où il est taillé le plus souvent en Guyot) pour maitriser les flux de sève et un sol très maigre. L’aligoté est un cépage fougueux, il faut le brider et laisser vieillir les pieds de vigne. Il faut vendanger assez tardivement (alors que c’est actuellement le cépage au degré minimal autorisé le plus bas en Bourgogne). Il nécessite également un élevage différent du chardonnay. Dans ces conditions, il est un extraordinaire révélateur de terroir « construit sur le végétal et les amers » (Sylvain Pataille). Les aligotés dégustés lors du Grand Bourgogne Hôtel n’ont fait que confirmer cela.

Le saviez-vous ?
Si Bouzeron est le seul village qui peut apposer son nom sur un vin composé d’aligoté, il existe une deuxième exception puisqu’un 1er cru de la Côte de Nuits est composé à 100% d’Aligoté : il s’agit du Morey-Saint-Denis 1er Cru « Clos des Monts Luisants » du Domaine Ponsot. Le domaine a replanté de l’Aligoté sur 1ha de sa parcelle de 2,5ha en 1911 et cette ancienneté a permis d’obtenir une exception (confirmée par l’INAO en 2011) dans la définition du cahier des charges de l’appellation Morey Saint Denis puisque « les monts luisants » est le seul climat (de 11ha) dans lequel l’aligoté peut-être utilisé. Le domaine Ponsot produit sa cuvée en monopole « Clos des Monts Luisants » avec 100% d’aligoté.



Pied d’aligoté planté en 1911 dans le Clos des Monts Luisants de Ponsot,
© https://climatsdebourgogne.wordpress.com/

Accords mets-vins autour de Bourgogne Aligotés

J’ai donc participé lors du Grand Bourgogne Hôtel à un atelier accords mets-vins autour du cépage aligoté animé par le sommelier Meilleur Ouvrier de France Fabrice Sommier qui a été pendant 18 ans le chef sommelier du restaurant de Georges Blanc à Vonnas et qui a été nommé il y a quelques mois directeur général du groupe.

Le premier vin dégusté était un aligoté « Champ Forey » 2016 du domaine Jean Fournier (Marsannay en Côte d’Or) qui produit 3 aligotés parcellaires. Les rendements sont faibles (entre 35 et 50hl/ha), les vignes ont été plantées dans les années 30/40 sur un sol de graves (profond, drainant). La vinification se fait sans souffre et sans ajout de levures, le vin passe un an minimum en fûts (jamais de bois neuf).

L’amuse bouche qui l’accompagnait était un cubik de saumon, mandarine yuzu.

Sur la rondeur et présentant une belle richesse, cet aligoté a pris une touche fumée avec le saumon et répondait évidemment bien au Yuzu car les aligotés sont des vins qui ont le plus souvent des notes d’agrumes.

Le deuxième vin était un Aligoté 2017 de Catherine et Claude Maréchal (Bligny-lès-Beaune en Côte d’Or) servi avec un amuse bouche navet boule d’or & canard fumé.

Élevage en cuve inox. Des notes de fruits blanc, un aligoté plus classique mais qui prend une autre dimension une fois la bouchée dégustée : on joue sur l’amer du canard et le gras / le fumée du canard. La finale florale fait ressortir l’orange de la bouchée et la pointe d’amertume du vin répond à l’amer du navet.

3ème vin, un Bourgogne aligoté silex 2016 de Millebuis, vignerons de Buxy (Buxy en Saône et Loire) servi avec une bouchée coquille Saint-Jacques, vierge de légumes à l’ananas.

Le nez est déroutant, on a un côté iodé, très salin, puis du silex, des arômes pierre à fusil. La structure est un peu molle en milieu de bouche mais rebondit en fin de bouche, avec une finale un peu amère, stricte. Fabrice Sommier nous explique que cet aligoté possède une identité très locale, nous transmet les caractéristiques si particulières du sol granit de la côte chalonnaise (horst granitique du Mont-Saint -Vincent).

L’accord avec la bouchée joue sur la tension avec la Saint-Jacques et on retrouve l’ananas en rétro-olfaction qui vient adoucir la finale.

Le 4ème vin est un Bourgogne Aligoté 2015 du domaine P-L & J-F Bersan (Saint-Bris-le-Vineux dans l’Auxerrois) servi avec une brochette de boeuf Black Angus bio. Sur cet aligoté, on ne retrouve pas la vivacité habituelle, il est plus âgé que les autres et il est surtout issu d’un millésime plus solaire, moins acide. Beaucoup de matière, de gras, une touche de poire dans l’aromatique. 10€ chez le Repaire de Bacchus par exemple.

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Sur le fromage, un cromesquis chèvre miel, nous avons dégusté le dernier vin, un Bourgogne Aligoté 2016 du domaine Michel Sarrazin et fils.

Elevé pour 2/3 dans des cuves inox et 1/3 dans des barriques de 500l neuves, le vin est marqué par le bois mais présente une très belle vivacité en milieu de bouche.

On peut donc voir que les vignerons utilisent des méthodes d’élevage différentes pour exprimer au mieux le potentiel de l’aligoté et des terroirs sur lesquels ils choisissent de planter ce cépage. Je vous invite à découvrir les aligotés des vignerons cités dans cet article qui travaillent ce cépage de façon à en tirer sa plus belle expression (auxquels j’ajoute Patrick Essa du domaine Buisson-Charles à Meursault).

Dégustation libre

Dans la Galerie Dégustation Libre, on pouvait trouver une sélection de 10 aligotés. Guidé par un formateur en vins de Bourgogne, j’en ai dégustés 3, montrant 3 styles différents :

– Bourgogne Aligoté 2016 de Bailly Lapiere (Saint-Bris-le-Vineux, 89): Très vif, peut-être un peu trop, un aligoté assez caractéristique de l’aligoté que l’on trouve dans l’imaginaire collectif.

– Bourgogne Aligoté 2016 du Domaine Rapet père et fils (Pernand-Vergelesses, 21) : un vin plus beurré, avec un certain gras et une longue finale. Les vignes sont situées dans le secteur de Pernand-Vergelesses, à proximité immédiate du bois de Corton, cela explique le style beaucoup plus gourmand !



– Bourgogne Aligoté 2016 de Nicolas Maillet (Verzé, 71) : un vin très concentré, avec de l’amplitude, une aromatique sur les fruits exotiques (ananas). Superbe. Terroir d’Igé, vignes de 33 et 70 ans.


4 comments on “Grand Bourgogne Hôtel : le retour du Bourgogne Aligoté

  1. […] J’ai déjà assez longuement évoqué dans mes comptes rendus de l’événement Grand Bourgogne Hôtel l’émergence d’une autre Bourgogne qui cherche à se faire connaitre du grand public (et des professionnels qui la négligent encore) et à raison puisque l’on a aujourd’hui d’yeux que pour les grands crus (qui représentent 3% des volumes de la Bourgogne) et quelques grands domaines. J’avais dans un article assez généraliste présenté quelques coups de coeur sur des appellations périphériques telles que Vezelay, Bouzeron, Saint-Véran, Rully et j’avais dans un second article évoqué le retour en grâce du cépage aligoté. […]

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