Début juillet, les vignerons de l’appellation Crozes-Hermitage (vallée du Rhône septentrionale) organisaient une dégustation du millésime 2018 chez Anne-Sophie Pic à Valence.
J’ai véritablement découvert l’appellation lors de l’événement « Un sommelier dans mon canap » au cours duquel j’avais reçu la sommelière du restaurant Yam’Tcha Marine Delaporte. J’avais notamment pu déguster les cuvées « Le Rouvre » de Yann Chave et Clos des Grives du Domaine Combier qui sont restées des valeurs de référence pour moi, ce que cette journée à Valence a confirmé.
Pour la présentation de l’appellation, je vous renvoie à la section dédiée dans mon premier article sur Crozes-Hermitage. Rappelons rapidement qu’avec 1768 hectares de vigne, l’AOC Crozes-Hermitage est la plus vaste des appellations des Côtes du Rhône septentrionales, que les vins rouges y sont très majoritaires (92% de la production) et que la Syrah est le seul cépage autorisé (avec la possibilité d’ajouter jusqu’à 15% de cépages blancs)
Le millésime 2018 à Crozes-Hermitage
Après 2015, 2016 et 2017, 2018 marque un quatrième beau millésime d’affilé dans le vignoble de la Vallée du Rhône. L’hiver a été doux, entrainant un débourrement précoce mais aucune gelée de printemps ne viendra menacer les bourgeons. La fin du printemps avait fait craindre une forte poussée de mildiou tant la météo était détestable avec beaucoup de pluie mais il y a eu peu d’attaques (notamment grâce au mistral). L’importante quantité d’eau a engendré une pousse importante de la vigne nécessitant un travail important des équipes dans les vignes. L’été fut caniculaire avec un thermomètre qui a dépassé les 37°C dans les vignes, avec toutefois deux épisodes de pluie salvateurs début août qui ont permis d’éviter un blocage des maturités.
Les vendanges ont débuté à la toute fin du mois d’aout pour les parcelles les plus précoces et les domaines les plus pressés, début septembre pour la majorité des domaines. Les pluies autour du 10 septembre ont contraint les vignerons à hâter les vendanges pour éviter que les degrés ne montent trop.
Les vins rouges ont tout de même atteint en 2018 des degrés élevés (Yann Chave indique avoir constaté 13,5°, 15° sur certaines de ses cuves) tandis que les acidités étaient basses, sans que cela soit catastrophique.
Pour une vue de la campagne 2018 à l’échelle de la vallée du rhône, je vous invite à lire le journal de Chapoutier.
Dégustation de 38 vins de l’AOC Crozes-Hermitage sur le millésime 2018
Nous avons ensuite dégusté à l’aveugle 38 vins rouges de l’AOC sur le millésime 2018, par séries de 5 vins. Les vins avaient tous été ouverts en même temps et ont été servis à température de cave.
Les 2018 sont encore très jeunes et on distingue deux profils de vins, des vins élaborés de manière à être accessibles jeunes et qui témoignent d’une certaine gourmandise, et des vins plus charpentés dont certains sont encore très marqués par leur élevage. J’ai appliqué à chaque vin un impression allant de – à ++. Fidèle à mon habitude, je préfère ne parler que des vins que j’ai apprécié et j’ai séparé mes coups de coeur en deux catégories : les « vins de plaisir à déguster dès maintenant » et « les vins de garde à laisser dormir quelques années en cave »
Crozes-Hermitage 2018 : les vins de plaisir à déguster maintenant
++
- Cuvée Georges, Domaine « Les Bruyères » (Vin n°5)
Au nez, des arômes gourmands de fruits rouges, de fruits de bois, de mûre. En bouche, il y a de la mâche mais c’est très souple. C’est un vin juteux, on sent une belle maturité du raisin mais avec une grande fraicheur
Elevage de 12 mois pour 50% en barriques de 7 à 10 vins pour les moins jeunes et en foudres et 50% en cuves béton brut de forme ovoîde, sphérique et quelques Dolia.
💶 18€ départ cave - Cuvée Domaine, Domaine Combier (vin n°12)
Au nez, des notes de fruits frais et des arômes floraux (violette) avec un côté un peu sauvage. En bouche c’est juteux, croquant, la texture est épaisse mais le vin se déploie avec élégance. La finale est épicée avec une pointe de salinité très plaisante. Magnifique !
Elevage de 12 mois en fûts récents. Assemblage des 3 terroirs suivant dégustation.
💶 22€ départ cave
+
- Crozes-Hermitage rouge 2018, Maison les Alexandrins (vin n°2)
Nez sur les fruits rouges assez ouvert. En bouche, la texture est soyeuse, de jolis amers salivants et légèrement végétaux donnent de la profondeur en fin de bouche.
Elevage en cuve troconique et demi-muids pendant 10 mois
💶 19,50€ départ cave - 🌱Jardin Zen 2018, Clairmont (vin n°9)
Le nez surprend, on est sur des arômes de fruits mûrs, compotés, de bonbon. La texture est épaisse mais souple, on a une belle présence en milieu de bouche et les tannins sont très fondus. C’est un vin gourmand, facile, un vin de plaisir.
Après un égrappage total, les raisins subissent une macération d’une quinzaine de jours en cuves béton avec plusieurs remontages quotidiens afin de favoriser l’extraction de la couleur et des tanins
💶 13, 70€ départ cave - Les Launes 2018, Maison Delas Frères (vin n°14)
Le nez est discret, sur les fruits rouges, le bonbon. La bouche est profonde, très gourmande avec un bel éclat de fruits et des tannins fondus même si présents en fin de bouche. Un vin déjà plaisant !
Une petite partie des vins est elevée en pièces de chêne pour apporter une note délicatement boisée, l’autre partie est conservée en cuves pour préserver les arômes fruités. Soutirages réguliers.
💶 16€ départ cave - 🌱 Les Pends 2018 du Domaine des Entrefaux (vin n°17)
Des notes de fruits noirs au nez, une grande fraicheur sur toute la bouche qui porte le vin loin. C’est croquant, de jolies épices (poivre) arrivent en fin de bouche.
Les vignes se trouvent sur le coteau des Pends de Mercurol (versant sud). Elevage de 12 mois sur lies : 6 mois en cuves bois et 6 mois en fûts, 10% en oeuf ciment.
💶 20€ départ cave - 🌱Les Galets 2018, Domaine des Hauts Châssis (vin n°22)
Le nez est expressif mais un peu monolithique, c’est en bouche que le vin se révèle, quelle intensité ! Quelle profondeur ! Il sera encore plus beau lorsque son élevage sera complètement fondu.
Elevage en demi-muid 12 mois dont 20% de neuf
💶 23€ départ cave - Les entrecoeurs 2018, Domaine Mucyn (vin n°30)
Un nez sur les fruits noirs, un soupçon de réglisse mais peu expressif à ce stade. La bouche est juteuse, on a une belle énergie qui fait rebondir le vin, une finale fraiche avec de la persistance.
Elevage en cuve
💶 15€ départ cave - Certitude 2018, Domaine François Villard (vin n°38)
Dense, intense, profond avec de la mâche, tout en ayant une belle fraicheur qui équilibre la dégustation. Les tannins sont d’une grande finesse de grain mais ils demandent encore du temps pour être parfaitement fondus.
Elevage 18 mois en fûts de 5 à 6 ans
💶 18€ départ cave
Crozes-Hermitage 2018 : les vins de garde à oublier quelques années en cave
- 🌱 Domaine de Thalabert, Paul Jaboulet Ainé (vin n°24)
Le nez est assez fermé à ce stade, en bouche on ressent une certaine fraîcheur, la texture est fluide, c’est encore assez serré avec une légère astringence qui accroche juste ce qu’il faut. A attendre pour qu’il s’ouvre autant au nez qu’en bouche mais il semble prometteur.
Elevage en fûts (dont 20% neufs) pendant 11 mois
💶 32€
Les vins de Crozes-Hermitage à table avec la cuisine d’Anne-Sophie Pic ***
Pour démontrer l’intérêt d’attendre quelques années avant de déguster les vins de Crozes-Hermitage, les vignerons ont choisi de nous faire déguster à table le millésime 2015 pour les rouges et 2018 / 2019 pour les blancs.
Anne-Sophie Pic invite les convives qui s’attablent à la maison familiale de Valence à « un voyage intérieur et sensoriel autour de l’imprégnation ». « Pour aimer une cuisine » écrit-elle dans la lettre cachetée qui est remise au début du service, « il est nécessaire d’appréhender le produit, son infini visible. C’est pourquoi ce voyage, pour vous, sera intérieur : la puissance aromatique des mets présentés tend à éveiller vos papilles et votre odorat, mais aussi votre vue, votre ouïe, votre toucher par le jeu des textures ». Une carte sensorielle est présentée, le menu avec le détail des plats n’est remis qu’à la fin du repas, même si chaque plat est annoncé avec beaucoup de précision.
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Le tourteau de casier
abîme incandescente
sobacha, café, basilic, oseille
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Maison Blanche 2019, les vins de Vienne
Ici nous sommes sur un accord de subtilité, il y a de la mâche dans la chair de tourteau, des notes grillées et végétales dans le plat, la rondeur du vin vient envelopper le tout tandis que ses notes fraiches et florales répondent parfaitement au plat sur le plan aromatique.
La sardine, le whisky Nikka coffey grain
L’effet papillon
tagète passion, capucine, baume de Galaad
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Yvoire 2019, Domaine Martinelli
Les Pontaix 2018, Laurent Fayolle
Deux propositions très différentes d’accord mets/vins, « Les Pontaix » 2018 de Laurent Fayolle a eu ma préférence, ses arômes de fruits mûrs, son gras, son opulence offrant une continuité avec la sardine et sa sauce gourmande et vaporeuse. Yvoire du Domaine Martinelli offrait plus de fraicheur et de minéralité, ce qui tranchait avec la texture du plat.
Le boeuf de Charolles
sillon d’étoffe
marinade végétale, betterave, bourgeons de sapin, cassis, curry
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Clos des Grives 2015, Domaine Combier
Domaine des Grands Chemins 2015, Delas Frères
Les Croix 2015, Domaine Les Bruyères
Epices, violette, fruits noirs mûrs se mêlent au nez tandis qu’en bouche, la texture soyeuse, la profondeur, la concentration et l’élégance du Clos des Grives confirment mon amour pour cette cuvée servie en magnum. Un vin idéal pour la pièce de boeuf la plus tendre et délicate qu’il m’ait été donné de déguster et la subtilité de cette sauce.
Les Croix 2015 du Domaine Les Bruyères, vin plus musclé avec des notes d’évolution répond quant à lui merveilleusement bien aux notes terreuses de la betterave.
L’agneau de l’Aveyron
la sieste du berger
feuille de figuier et sakura, aubergines, ail noir, safran
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Cuvée Christophe 2015, Domaine des Rémizières
Les Hauts du Fief 2015, Héritiers Gambert Cave de Tain
Le Rouvre 2015, Yann Chave
Le Rouvre 2015 de Yann Chave – autre cuvée coup de coeur de longue date – a encore un fruit éclatant et donne de l’énergie au plat, il répond particulièrement bien à l’aubergine.
La cuvée Christophe 2015 du Domaine des Rémizières a une structure plus marquée, des notes boisées qui enveloppent un agneau de l’Aveyron d’une subtilité irréelle..
Le St. Marcellin
crémeux de coumarine
mélilot, bière
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Les Charmeuses 2018, Domaine Mucyn
Un fromage étonnant, un coeur coulant glacé dans une enveloppe très aérée, le vin offre des notes de fleurs blanches, de fruits frais, des arômes légèrement grillés et apporte ici l’acidité nécessaire pour équilibrer le gras du fromage.
La cerise Burlat
Burla(t)il
chocolat, ail noir, bière
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Etoile Noire 2015, Domaine Melody
Les Pends 2015, Tardy / Entrefaux
La cuvée Les Pends du domaine des Entrefaux offre des notes de fruits mûrs (cassis, cerise) avec des épices et une bouche riche avec des tannins qui se sont bien assouplis mais restent très présent. L’étoile noir est également un vin puissant, avec des notes fruits noirs, de chocolat et une pointe de réglisse. Ces deux vin se mesurent sans problème au dessert qui a un certain caractère !
Quel magnifique déjeuner ! La cuisine d’Anne-Sophie Pic est sobre, précise, pure, avec un équilibre dans les goûts, les saveurs et les textures impressionnant, on sent que chaque plat est le résultat d’un travail continu de recherche de nouveaux ingrédients et d’essais d’associations. Paz Levinson, la cheffe sommelière exécutive du groupe Pic et Edmond Gasser, chef sommelier de la Maison Pic ont fait un superbe travail de sélection des cuvées les plus adaptées, faisant ainsi briller les vins de l’appellation autant que la cuisine, permettant de percevoir le grand potentiel gastronomique des vins tout en faisant découvrir les plats signature d’Anne-Sophie Pic. Une telle réussite de bout en bout est rare et montre le talent du trio dans la préparation de cette journée ! Enfin, le service à la maison Pic est à la fois attentionné et détendu, de quoi achever de faire d’un déjeuner à la Maison Pic une véritable parenthèse enchantée !